On ne présente plus Philippe Meirieu, il est une référence incontournable, il s’est prêté à l’exercice de la conférence inaugurale de la vingtième édition de Ludovia ayant pour thème “Le bien-être et le numérique à l’École”.
Que répond Chat GPT ?
Philippe Meirieu commence par nous commenter la réponse de ChatGPT à la question “Le bien-être est-il vraiment nécessaire à l’école ?” (On peut la lire dans le diaporama de la conférence).
Passé le premier réflexe de trouver la rédaction de la réponse bluffante, on se rend compte qu’elle est surtout une suite de banalités pétrie de biais cognitifs, ou plutôt, de biais définitionnel et démonstratifs : lieux communs, généralités, faux-synonymes, tautologies… et qu’à aucun moment l’intelligence artificielle ne définit le bien-être ce qui empêche de pouvoir saisir les enjeux.
Le bien-être à l’école, oui mais lequel ?
Il s’agit de combattre tout ce qui décourage, rabaisse et a fortiori ce qui porte atteinte à l’intégrité psychologique ou physique des personnes. L’école doit être un “espace hors-menace” (Jacques Lévine) c’est-à-dire qui permet de prendre des risques sans être fragilisé. Cela nécessite l’humanisation de “l’espace-temps scolaire”, des instances de régulation et de revoir la fonction et les usages de l’évaluation.
Pour cela, il est essentiel d’appliquer les principes de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE 1989), en effet il faut être respectueux de la hiérarchie… des textes ! La CIDE est au-dessus de notre constitution et donc largement plus engageante que la dernière circulaire du ministre. L’enfant est un être inachevé qui doit être protégé mais aussi un être complet qui doit être respecté et protégé, y compris psychiquement, de toute emprise.
Il ne s’agit certainement pas de privilégier systématiquement la satisfaction immédiate de l’élève, de lui éviter toute forme de désagrément, d’obtenir son approbation, voire son amour, selon les lieux communs du “développement personnel”… Ce type de bien-être constitue un obstacle majeur au développement cognitif et social de la personne, pour apprendre il faut être parfois en situation d’inconfort et non dans une “passification” (qui rend passif) ou une docilité sereine. Le bien-être ne doit pas être un outil “d’assujettissement soft” qui au nom du développement des compétences psychosociales aurait pour fonction de rendre le sujet adaptable à toutes les situations, au détriment de la formation de sa lucidité et de l’éveil de son sens moral.
Enfin le bien-être pourrait être l’inscription dans un groupe fusionnel qui confère une identité et une protection à condition d’abdiquer sa liberté… Ne pas oublier qu’il est possible d’avoir un “climat scolaire positif” avec des élèves enthousiastes dans une idéologie douteuse. On peut très bien “vivre ensemble” sous le joug d’un gourou charismatique… il faut plutôt viser le FAIRE ensemble.
En fait, il s’agit de combattre toutes les formes d’essentialisation, de réduction d’un élève à ses origines, symptômes, comportements ou caractéristiques observables…. ce qui constitue le cœur même de l’entreprise éducative, bien plus que la recherche du bien-être, c’est la mise en situation qui permet de “bien devenir”.
À quelles conditions le numérique peut-il être un outil du “bien-devenir” à l’école ?
Le numérique est à la fois l’enfermement dans les algorithmes et la possibilité d’accéder à la divergence et aussi à la sérendipité (c-a-d trouver ce que l’on ne cherchait pas). Éduquer c’est permettre de devenir différent, de ne pas rester tel que les autres nous voit, de s’ouvrir à autre chose qui n’existait pas encore dans notre champ mental, de tresser le droit à la ressemblance avec le droit à la différence.
Si le numérique peut couper de la réalité qui résiste, il peut aussi être un moyen, via la mutualisation, de se réinvestir dans des pratiques incarnées en prise avec le réel.
On peut contrer un numérique dominé par la marchandisation libérale s’adressant à des consommateurs passifs, en allant vers une mutualisation systématique des questions et des réponses entre les humains.
Loin d’un numérique qui comblerait le désir de savoir en tuant le désir d’apprendre, accompagnons les élèves à la découverte du numérique qui peut ouvrir à de nouvelles enquêtes en suscitant des interrogations systématiques sur ses propres résultats et sur son propre usage.
Allons vers un méta-numérique au service du “bien devenir”.
En perspective (plutôt qu’en conclusion)…
Le bien-être et le numérique ne sont ni des totems ni des tabous… ce sont des pharmakon(s)1 (Bernard Stiegler)… ce statut est le seul qui invite à la réflexion, mobilise les intelligences individuelles et collectives… et légitime nos débats.
1 – Le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire
Le diaporama de Philippe Meirieu est disponible ici.
Synthèse rédigée par Stéphanie de Vanssay