L’article L.311-1 du code de l’éducation définit l’évaluation servant “à mesurer et à valoriser la progression de l’acquisition des compétences et des connaissances de chaque élève”.
Le sens de l’évaluation n’est pas perçu par tous les acteurs de l’école de la même manière. La plupart, élèves, famille et certains enseignants, envisage bien la dimension “mesurer” avec l’idée de notes, de niveau de compétences qui s’accompagne souvent du désir de de moyenne, de comparaison entre élèves voir de classement. La dimension “Valoriser” est souvent reléguée au second plan.
Ainsi, l’évaluation est facteur de stress chez nos élèves : la pression des notes, la peur du jugement, le risque de ne pas être récompensé à la hauteur de ses efforts compromettent le sentiment de bien-être à l’école. La Constante Macabre (André Antibi) plane au-dessus des élèves suscitant la démotivation et la perte de l’estime de soi. Pourtant, l’évaluation sert à recueillir des informations et à les interpréter pour prendre des décisions[1] (certification, remédiation …) : elle pourrait être vécue de façon plus positive par les élèves.
Dans son dernier rapport, daté de mars 2023[2], le Cnesco constate que les enseignants français “estiment passer plus de temps que leurs homologues des pays de l’OCDE à corriger des copies, dans le primaire comme dans le secondaire, alors même qu’ils décrivent cette pratique comme une source importante de stress pour eux. Selon les enquêtes internationales Talis, plus que dans les autres pays, les enseignants français ont un sentiment de responsabilité très important dans l’évaluation, dans la réussite des élèves et la communication des résultats aux parents, ce qui engendre là aussi stress et mal-être.” Aussi, “ les enseignants français expriment un faible sentiment d’efficacité à évaluer leurs élèves et une faible capacité à mobiliser différentes modalités d’évaluation”.
Problématique :
Comment le numérique permet de soutenir une pratique d’évaluation positive et rendre l’élève acteur de ses apprentissages, tout en allégeant la charge de l’évaluation qui pèse sur les enseignant·e·s ?
Nos pistes de réflexion :
- définir des objectifs d’évaluation explicites et précis pour développer la confiance en soi, l’autonomie et le sentiment d’efficacité personnel
- travailler l’ “Apprendre à Apprendre”
- valoriser la progression de chacun
- transformer la nature de l’évaluation à laquelle l’élève prend une part plus active et en facilitant la “correction” de l’enseignant·e
Apport du numérique :
Le numérique facilite le plaisir d’apprendre et la réussite de tous les élèves car il permet :
- d’offrir l’accès à des outils de révision créés par l’enseignant (sujet d’évaluation de leçon, copie du prof à corriger, QCM autocorrectifs, fiche de mémorisation active…).
- aux élèves de se créer leur propres outils de révision numérique ou papier (learning apps, vidéos, Questions-réponses, cocottes de révision, leçons à manipuler, jeu, sketchnote…)
H.L. Roediger[3] a montré que les QCM et le fait de se tester plutôt que de relire une leçon favorisent la mémorisation, les outils numériques fournissent une aide précieuse dans ce domaine, aussi par la puissance de leur feedback (immédiat, non menaçant).
Ces outils variés permettent de s’adapter aux envies et aux besoins de tous les élèves (différenciation pédagogique par le choix des supports). Ils favorisent l’engagement et l’autonomie des élèves. Les élèves gagnent en confiance en soi et sont responsabilisés par rapport à leurs apprentissages.
- de réaliser des feedbacks positifs et personnalisés sur le travail des élèves afin de valoriser leurs progrès (notamment par mail mais aussi directement sur les travaux rendus par l’élève)
- d’associer les élèves dans un dialogue avec l’enseignant (“conversations évaluatives” selon la dénomination du Cnesco[4] )
- de différencier l’évaluation en abaissant la charge cognitive[5] grâce à des visuels interactifs qui proposent une aide contextuelle.
Relation avec le thème de l’édition :
La corrélation entre bien-être et réussite scolaire établie par la recherche, relève maintenant du bon sens pour nous enseignant.
Outre le bien-être physique, le bien-être à l’école nécessite une relation de confiance entre l’enseignant et ses élèves, le soutien entre pairs (bien-être social), un sentiment de sécurité et de satisfaction personnelle (bien-être psychologique), un sentiment de compétence et d’efficacité personnelle (bien-être cognitif). L’évaluation par contrat de confiance joue sur ces 3 derniers facteurs.
L’évaluation bienveillante a pour but de rassurer l’élève sur le fait que ses efforts seront récompensés. Il connaît précisément les objectifs d’apprentissage, il peut se préparer et s’entraîner à l’aide des outils créés par l’enseignant ou qu’il se crée lui-même.
Ce contrat passé entre l’enseignant et ses élèves permet d’établir une relation de confiance. Ce bien-être psychologique va être soutenu par l’entraide entre les élèves organisée pour soutenir l’apprentissage lors de la préparation aux évaluations mais aussi par le feedback positif offert sur les outils de révision que se créent les élèves et sur les évaluations elles-mêmes. Les retours sont formulés en tant que points de réussite ou de progrès et point d’amélioration possible afin de donner une vision positive de l’erreur.
L’enseignant essaye de décentrer le regard de l’élève de la performance (score, note, niveau d’acquisition de la compétence) pour le repositionner sur les attendus et les moyens d’y parvenir afin de développer un sentiment d’efficacité personnelle et donc de bien-être cognitif.
La recherche du but de maîtrise plutôt que du but de performance (R. Viau, la motivation en contexte scolaire, 2009) contribue à développer une motivation intrinsèque et renforcer le plaisir d’apprendre et de réussir. En travaillant les feed back grâce aux outils numériques et en diversifiant les évaluations grâce aux outils numériques, les élèves peuvent renforcer leur sentiment d’efficacité personnelle[6], tout comme l’enseignant·e qui gagne en temps de correction et peut suivre plus précisément les progrès des élèves.
Synthèse et apport du retour d’usage en classe :
En SVT : (co-animation avec Cathy Hupin)
Depuis plus d’une dizaine d’années, je réfléchis aux modalités d’évaluation sommative pour limiter le stress et favoriser l’engagement dans les apprentissages.
Mon objectif est aussi de lutter contre la Constante Macabre qui veut que seul ⅓ des élèves réussisse les évaluations.
J’ai pour ambition de responsabiliser les élèves vis-à-vis de leurs apprentissages, développer leur autonomie et leur redonner confiance en leur capacité à apprendre et à réussir.
J’ai testé successivement différentes stratégies : une évaluation explicite par contrat de confiance, une évaluation choisie, la création et l’utilisation d’outils de révision.
Le numérique en classe et hors classe offre un accès simplifié et sécurisant à des ressources et des outils variés. Selon ses besoins et ses envies (différenciation pédagogique), les élèves choisissent de travailler à partir de supports variés (texte, audio, schéma, carte mentale, vidéo, exerciseurs…). Ils peuvent consulter le sujet d’évaluation de leçon et corriger la copie du prof pour s’entraîner. Ils sont incités à se créer des outils de révision de formes classiques ou inhabituelles (“Pommes”) en format numérique ou papier. Ces travaux supplémentaires sont valorisés pour encourager leur création. Ces travaux préparatoires sont corrigés afin d’apporter aux élèves un feedback sur leur travail.
Afin de réaliser un suivi des acquis et de valoriser les progrès des élèves, j’ai mis en place une fiche bilan trimestriel, qui elle aussi, s’enrichit d’année en année. Je présenterai donc son contenu et son évolution.
Ces différentes stratégies favorisent la relation de confiance que j’ai développée avec mes élèves. Elles leur offrent un sentiment de sécurité et de compétence : ils ont l’assurance que leur travail sera récompensé et ne redoutent plus de ne pas avoir appris ce qu’il fallait.
L’outil numérique favorise donc l’engagement et la persévérance par le choix, les rétroactions et la différenciation, l’autonomie en laissant libre accès aux ressources mais aussi la créativité par la diversité des possibles.
En histoire géographie et EMC
Présentation de deux types d’évaluation s’appuyant sur les outils numériques et favorisant l’implication des élèves dans ce processus d’évaluation.
- Une co-évaluation, : l’évaluation de productions numériques (storymap, infographie ou vidéo réalisées par les élèves) est effectuée au fil de l’eau sous la forme de “conversation évaluatives” pour reprendre la dénomination du Cnesco entre l’enseignant·e et l’élève. Les critères d’évaluation sont définis avec les élèves et l’attribution des points en fonction de la réussite du travail est réalisée au cours de la production, en discutant avec l’élève. Quand l’élève estime avoir terminé le travail, la note est déjà définie, le travail de correction de l’enseignant est terminé.
- Une image interactive pour différencier l’analyse de document évaluée (affiche sur les chemins de fer) : la mise à disposition d’un document numérique permet de développer l’autonomie et de différencier le travail en évaluation. Il s’agit d’une image interactive reproduisant l’affiche à analyser, avec des aides permettant de rappeler la consigne, de la différencier. Aussi l’interactivité permet de guider le regard des élèves vers certaines zones enrichies de conseils, des questions insérées dans le visuel guident l’analyse, la description et l’interprétation. Certaines consignes sont délivrées à l’oral. Une tâche identique a été effectuée avant l’évaluation au cours de la séquence, avec le même type d’accompagnement, et elle est reproduite avec un autre document en évaluation.
[1] De Ketele, J. (2010). Ne pas se tromper d’évaluation. Revue française de linguistique appliquée, XV, 25-37. doi.org/10.3917/rfla.151.0025
[2] L’évaluation en classe au service de l’apprentissage des élèves. Recommandations du jury. Cnesco-Cnam. www.cnesco.fr/evaluation-en-classe/
[3] Roediger, H. L., & Karpicke, J. D. (2006b). Test-Enhanced Learning Taking Memory Tests
Improves Long-Term Retention. Psychological Science, 17(3), 249–255.
[4] L’évaluation en classe au service de l’apprentissage des élèves. Recommandations du jury. Cnesco-Cnam. www.cnesco.fr/evaluation-en-classe/
[5] Le numérique permet d’adapter les enseignements aux élèves et de s’adapter aux besoins particuliers des élèves” Franck Amadieu et André Tricot, Apprendre avec le numérique, Retz, 2014.
[6] Bandura, A. (1997). Self-efficacy, the exercise of control, New-York, Freeman & Company ; Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle, Bruxelles, De Boeck, 2003.
À l’occasion de l’université d’été de Ludovia, 20ème édition, de nombreux enseignants et autres membres de la communauté éducative vont venir présenter leur expérience avec le numérique sur le thème de l’année, « Bien-être et numérique en éducation ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût de ces ateliers jusqu’au début de l’évènement, mardi 22 août.
Claire Dreyfus et Cathy Hupin présenteront l’atelier « L’évaluation positive pour le bien-être des élèves et le plaisir des enseignant·e·s » sur la session II « L’ACCÈS AUX RESSOURCES ET AUX CONTENUS PÉDAGOGIQUES FAVORISE-T-IL LE BIEN-ÊTRE DANS LES APPRENTISSAGES ? » mercredi 23 août après-midi.
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Plus d’infos : www.ludovia.fr