Les écoles Algora existent depuis maintenant un an. Elles rencontrent un grand succès puisqu’à ce jour, plus de 85 écoles Algora ont été ouvertes en France et dans toute la francophonie.
Juste avant le lancement des écoles, j’avais exposé, à l’occasion du TedX Belfort (voir vidéo) les raisons pressantes qui rendaient les écoles Algora absolument nécessaires :
« La Révolution industrielle a remplacé les bras humains et la force animale par la force des machines, la Révolution numérique est en train de remplacer les cerveaux humains par l’intelligence des machines. Les sciences, à de rares exceptions près, ne peuvent plus être abordées sans l’algorithme. »
J’explique dans la conférence TedX pourquoi ce qui compte en effet est de savoir programmer, non pas de « maîtriser les usages ». Il est absolument nécessaire, pour que nos enfants ne soient pas les esclaves de cette révolution, qu’ils apprennent à programmer les machines.
L’informatique, au sens de science de la programmation, est donc un savoir d’ordre général, qui permet au futur citoyen de comprendre son environnement et le monde qui l’entoure. C’est cet aspect général, universel, émancipateur qui le rend indispensable et non pas, comme on nous l’assène trop souvent, son utilité professionnelle. Le nom « Algora = Agora + Algorithme » que nous avons donné à nos écoles, en découle.
Après un an, et quelques tâtonnements, il est utile de mieux décrire les principes pédagogiques que nous appliquons dans nos écoles. Je précise que la formalisation de ces principes a été tardive : pendant longtemps, comme Mr Jourdain, nous avons fait de la pédagogie sans vraiment le savoir.
Ce n’est qu’il y a quelques semaines, lors de la réflexion sur nos futurs cursus destinés aux adultes, que j’ai posé ces principes sur le papier (ou plutôt, à l’époque, dans un PowerPoint).
La charte pédagogique Algora
Principe n°1 : nous apprenons à programmer en utilisant des robots et des briques
Des robots…
Nous pensions avoir eu une bonne idée en proposant des cours à base de robots et de briques. Ce n’est que progressivement que nous avons compris à quel point cette idée était excellente. Les adultes qui ont eu la chance d’assister à nos cours sont impressionnés par le calme et la bonne humeur qui y règnent, ainsi que par la concentration des enfants, tout au long des 90 mn que durent les sessions et alors que nous leur demandons des choses compliquées, parfois très compliquées.
Le robot passionne les enfants, ils le construisent, le manipulent. C’est un excellent support qui les motive pour réfléchir et apprendre, car ils peuvent tester immédiatement leur raisonnement.
… et des briques.
Et au-delà du robot, les briques sont elles-mêmes importantes pour l’enseignement, car elles nous permettent de développer des robots de tous types, ayant des fonctionnalités multiples et variées, sans lasser aucunement les enfants. Elles nous permettent aussi de multiplier les domaines d’apprentissage : dans nos cursus robotique, nous avons intégré des animaux, des véhicules intelligents, des machines-outils articulées, des expériences de physique et de biologie…
Le côté généraliste et universel de l’informatique, que nous souhaitons mettre en évidence pour les enfants, nécessite l’utilisation de briques universelles.
Principe n° 2 : Un enseignement basé sur des travaux pratiques, plus que sur des cours théoriques
Du particulier au général
L’informatique est une matière particulière, duale, qui emprunte à la science mathématique (tout algorithme est un théorème) et à la technique (un algorithme n’a d’utilité que lorsqu’il est implémenté sur une machine et son utilité change selon la machine elle-même).
Nous avons pris le parti, dans nos cursus, de n’exposer que ce que nous pouvions illustrer dans le cadre de travaux pratiques. Tout ce qui nécessite un cours purement théorique, nous l’avons sciemment laissé de côté. Et, là encore progressivement, nous nous sommes rendu compte que nous ne laissions pratiquement rien de côté ! En informatique, si on se creuse la cervelle, il est toujours possible d’illustrer un aspect théorique par un développement simple.
C’est à ma connaissance la seule science où c’est possible : en physique, en chimie, en biologie, l’expérimentation est souvent lourde et longue. En mathématiques, l’expérimentation n’existe pas, ou du moins elle est partie intégrante de la recherche théorique.
Au final, nos cours ont un contenu théorique très avancé, mais les élèves ne s’en rendent pas compte : ils apprennent toujours par l’exemple.
Des TP guidés et des missions « libres »
Le cursus que nous avons développé pour les 10-14 ans compte 36 livrets de cours. Chaque livret correspond à 3 heures de cours (délivrées sur 1 mois dans les écoles Algora) et à un robot différent.
Les livrets comprennent systématiquement 2 parties :
D’abord, un TP « guidé »où l’élève est «pris par la main » et où on lui présente quelques nouveaux aspects (technique de programmation, capteurs…). Le livret correspondant à cette partie fait 15 à 30 pages et l’élève a besoin d’1h30 pour réaliser son robot initial. On peut dire que cette partie est essentiellement didactique, mais qu’au lieu de donner le cours de façon descendante à l’élève, nous lui demandons de le prendre en main lui-même (lecture du livret et réalisation des exemples).
Ensuite une mission ouverte, qui elle aussi dure 1h30 mais qui est décrite en une seule page. Cette mission est de nature créative mais pour la réaliser l’élève doit appliquer, dans un contexte nouveau, le savoir acquis dans la session « guidée » (et dans les sessions précédentes). On constate alors que les solutions imaginées par les élèves sont souvent de nature radicalement différentes. Dès le premier mois de cours, les élèves sont ainsi amenés à résoudre des problèmes. (Résoudre des problèmes, c’est l’essence même de la science informatique.
Principe n°3 : des exemples tirés de l’environnement quotidien des élèves ou de la nature
Nos robots ont une variété quasi-infinie (voir 56 vidéos de robots). Dans les cours Algora, les enfants vont apprendre comment fonctionne une voiture anti-collision, comment une machine-outil trie des objets par couleur, comment un animal marche – cet exemple est très instructif car nous étudions la marche d’abord sur 6 pattes, puis sur 4 et 2 pattes. Il est aussi de nature pluridisciplinaire car des notions de cinématique et de biologie sont nécessaires pour reproduire la nature.
La simulation de la nature est un des domaines clés de l’informatique et aussi un des domaines les plus prometteurs, car c’est en tentant de comprendre le cerveau humain qu’on arrive à l’intelligence artificielle.
L’exemple le plus merveilleux que nous ayons développé à ce jour est à mon avis celui de la nuée de vers luisants. Dans la nature, les vers luisants, qui ne disposent pourtant que d’un nombre réduit de neurones clignotent ensemble comme dans la vidéo ci-dessous. L’algorithme qui permet aux vers luisants de se synchroniser est extrêmement simple et à la fin du TP, chaque enfant constate que son ver luisant se synchronise avec les autres, « comme par magie », mais pas par magie car l’enfant l’a programmé.
Découvrir la beauté du monde
La science a pour objectif ultime – et pour moteur – de découvrir et de comprendre la beauté du monde. Nous essayons de communiquer cette beauté aux enfants des écoles Algora.
Principe n°4 : Ne pas donner les solutions aux élèves, mais les aider à découvrir les solutions.
Nous sommes extrêmement ambitieux concernant les objectifs que nous fixons aux enfants.
Apprendre à programmer, c’est apprendre à résoudre des problèmes.
Donner la solution du problème à un élève, ce n’est pas l’aider ; en l’empêchant de chercher par lui-même, on bride sa progression. Le principe pédagogique de base, dans nos écoles Algora (et au départ, c’était un pari), c’est donc que les élèves cherchent par eux-mêmes et trouvent les solutions. La recherche personnelle fait non seulement partie de la méthode mais elle en est l’élément clé.
Dans les cours Algora, on ne cherche pas la solution des problèmes sur Google. Et ce pour au moins deux raisons : d’abord, la solution des problèmes que nous posons n’est pas sur Internet. Ensuite, nous ne connectons pas les ordinateurs des enfants à Internet.
Ce principe pédagogique général souffre quelques exceptions, car nous cherchons à ne pas mettre inutilement les enfants en échec. Cependant, nous constatons que les robots stimulent énormément les enfants et qu’en fait, avec les exemples que nous leur donnons, ils adorent chercher. J’en reviens à mon point n°1 ci-dessus concernant l’ambiance détendue et studieuse qui règne dans nos écoles Algora, alors même que certains parents nous préviennent que leurs enfants sont plutôt hyperactifs. Cette ambiance me surprend moi-même, semaine après semaine et me redonne confiance dans la nature curieuse et inventive de l’enfant qui, si on l’utilise à bon escient, lui permet de développer son intelligence.
Et si ce tableau paraît un peu idyllique, « commercial » ou même « kitsch » aux enseignants qui lisent ce blog, je les invite à passer quand ils le souhaitent le mercredi dans notre école pilote de Lille pour suivre de visu une de nos classes 6-9 ans ou 10-14 ans. Envoyez-moi simplement un mail un jour ou deux à l’avance, nos portes vous sont ouvertes.
Principe n°5 : des cours suffisamment clairs et simples pour pouvoir être enseignés partout
Si nos cours ont été écrits sous forme de livrets très simples, comportant chacun un TP guidé et une mission créative, c’est parce que nous savions dès le début que le coût de développement de ces cours ne peut être amorti que s’ils peuvent être dupliqués dans des centaines d’écoles. Tout le contenu nécessaire à l’élève est dans le livret – nos élèves doivent « simplement » savoir lire, je mets des guillemets car nous constatons que certains enfants, même à 13 ou 14 ans, n’ont jamais auparavant ouvert un livre scientifique dans le but d’y apprendre quelque chose. Il faut quelques mois à ces enfants pour « apprendre à lire » un contenu scientifique mais il y arrivent tous.
Les retours de notre école pilote
Dans notre école pilote de Lille, un de nos enseignants est docteur en physique et l’autre n’a pas de diplôme informatique. Je ne pense pas que les enfants fassent la moindre différence car le travail de l’enseignant, avec la méthode que nous proposons est essentiellement un travail d’animation pédagogique et d’explication.
Les enseignants sont les bienvenus dans notre école
Rappelons qu’il n’y a pas à l’heure actuelle de professeur d’informatique dans les collèges français, et que l’informatique y est enseignée soit par des professeurs de maths (à qui il manque la formation technique à la programmation) soit par des professeurs de technos (qui n’ont pas reçu la formation mathématique appropriée).
La méthode que nous avons développée permet, avec des adaptations très légères de résoudre ce problème (ces adaptations prennent essentiellement en compte le fait que les classes de collège étant plus chargées que nos classes Algora, l’élève doit être encore plus guidé pour que l’enseignant puisse gérer autant d’élèves à la fois. Le contenu que nous proposons pour le collège est donc plus simple et la progression moins rapide). Vous pouvez aller voir à titre d’exemple les livrets que nous avons développés pour le primaire et pour le collège.
Cet article est paru en premier dans le blog de Speechi.