Alors que l’intelligence artificielle multiplie la palette d’outils numériques à disposition des enseignants, que sait-on de son efficacité dans l’apprentissage de la lecture ? Les nouvelles applications risquent-elles de remplacer les méthodes traditionnelles ou ce scénario relève-t-il de la science-fiction ?
L’intelligence artificielle (IA) s’infiltre progressivement dans le monde de l’éducation, notamment dans l’apprentissage de la lecture. De plus en plus d’outils numériques proposent en effet d’accompagner les lecteurs en herbe dans le déchiffrage de leurs premiers textes.
Alors que les données officielles font état de grands écarts de niveau entre les élèves et de difficultés importantes d’une part d’entre eux à l’entrée en sixième, que peut-on attendre de ces nouveaux appuis technologiques ? Sont-ils vraiment efficaces ? Peuvent-ils compléter les méthodes traditionnelles ? Risquent-ils de les remplacer ou cela ne serait-il qu’un scénario de science-fiction ?
Du décodage à la compréhension : un long apprentissage
Rappelons que la lecture se définit comme « l’action de déchiffrer un texte, d’en identifier les caractères et les mots pour en comprendre le sens ». Cela nécessite un apprentissage rigoureux qui implique de « développer des habiletés dans deux domaines : l’identification des mots écrits et le traitement du sens, pour la compréhension des textes ».
Avant de pouvoir comprendre un texte, il est crucial de maîtriser le décodage. Cela signifie associer ce que l’on voit (les graphèmes) à ce que l’on entend (les phonèmes). Par exemple, quand un enfant voit le mot « bateau », il doit d’abord identifier les graphèmes b, a, t, eau, puis les relier aux sons correspondants/b/,/a/,/t/et/o/. En combinant ces sons, il peut reconnaître le mot « bateau », surtout s’il l’a déjà entendu autour de lui.
Cet apprentissage commence par des règles simples et courantes, qui deviennent plus complexes mais s’automatisent avec le temps. Ensuite vient la compréhension, qui repose sur plusieurs compétences (traitements sémantique, syntaxique, morphologique) et qui n’est pas exclusive à la lecture.
L’apprentissage de la lecture est-il un parcours du combattant ? D’après l’Insee (2011), un élève sur cinq entrant au collège rencontre des difficultés face à l’écrit. De plus, entre 20 et 40 % des élèves de cet âge présentent des difficultés de compréhension des textes. Ces difficultés ne s’atténuent malheureusement pas avec le temps. À l’adolescence, un jeune sur dix présente une très faible compréhension en lecture, accompagnée d’un déficit de vocabulaire significatif.
Les compétences en lecture ne se développent donc pas de manière homogène chez tous les élèves et peuvent être influencées par des facteurs sociaux et culturels. Dans les milieux les plus favorisés, la lecture est souvent valorisée comme une activité de loisir et d’évasion, tandis que dans les milieux moins favorisés, elle est principalement envisagée comme un outil d’apprentissage. Cette différence d’usage peut avoir des répercussions sur la motivation des élèves et leur engagement dans la lecture, influençant ainsi leur progression et leur niveau de compréhension.
Outils numériques : opportunités et défis
Les nombreux outils numériques éducatifs développés depuis vingt ans peuvent être classés en deux grandes catégories : ceux axés sur le décodage et ceux visant la compréhension. Parmi les outils dédiés au décodage, on peut citer, Daisy Quest et Daisy Castle, Lexia, Play-On et GraphoGame. Concernant le développement de la compréhension en lecture, plusieurs ressources ont également vu le jour, telles que ELAN, ABRACADABRA et ePearl.
Ces outils poursuivent chacun des objectifs d’apprentissage spécifiques, tels que le développement des habiletés phonologiques, la maîtrise des correspondances graphème-phonème, l’amélioration de la fluidité en lecture ou encore la compréhension des textes. De plus, ils ciblent des populations variées en fonction des besoins éducatifs.
Toutefois, pour garantir leur efficacité, il est essentiel qu’ils soient conçus en lien étroit avec la recherche scientifique. Cela permet non seulement d’en vérifier la fiabilité de manière objective (par exemple GraphoGame), mais aussi d’évaluer précisément leurs effets spécifiques.
Si ces outils ont été largement adoptés par les enseignants du premier degré (94 % en 2015) pour la préparation de leurs cours, leur intégration en classe reste limitée. D’après l’enquête internationale TALIS 2018, seuls 14,5 % des enseignants du primaire déclarent autoriser fréquemment ou systématiquement les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) quand les élèves mènent des projets ou des travaux en classe.
Du point de vue des élèves, ces outils renforcent la motivation et l’attention, rendant l’apprentissage plus attrayant. La présence de feedbacks immédiats favorise la compréhension et la progression, tandis que l’individualisation du parcours permet d’adapter les apprentissages aux besoins spécifiques de chacun.
Cela dit, ces technologies ne sont pas exemptes de limites : surcharge cognitive, perturbation du sommeil, inégalités d’accès ou encore risques d’isolement social. Ces enjeux soulignent la nécessité d’une utilisation réfléchie et modérée des outils numériques ainsi qu’une formation adéquate des enseignants pour exploiter pleinement leur potentiel dans l’apprentissage de la lecture.
L’IA, une révolution pédagogique ?
Plus récemment, l’IA s’est imposée dans toutes les disciplines, renouvelant les outils à disposition. En France, concernant l’apprentissage de la lecture, on peut citer des applications comme Lalilo et Navi.
Comme les outils numériques traditionnels, l’IA permet un feedback immédiat mais elle va aussi plus loin en personnalisant le parcours de chaque apprenant. Elle permet d’ajuster en temps réel la difficulté des exercices et propose des contenus adaptés aux progrès de l’élève, ce qui lui offre un apprentissage différencié et plus interactif.
Elle constitue un outil précieux pour appuyer les enseignants et alléger certaines tâches répétitives. Elle facilite notamment la création de quiz ou évaluations, permettant donc aux enseignants de gagner du temps tout en ciblant les difficultés des élèves et ainsi d’adapter leurs interventions.
À ce jour, peu d’études se sont intéressées à l’impact de l’IA sur l’apprentissage de la lecture. Si certaines recherches ont mis en évidence ses bénéfices en compréhension, structuration de récits et enrichissement du vocabulaire, son efficacité sur les premières étapes de l’apprentissage reste à démontrer.
Bien que l’IA transforme de nombreux domaines, son intégration en éducation soulève encore des questions et défis. Son efficacité doit encore être comparée aux méthodes traditionnelles pour évaluer ses réels bénéfices. De plus, l’usage d’outils adaptatifs et génératifs requiert des compétences techniques que les enseignants ne possèdent pas toujours, rendant indispensable la mise en place de formations spécifiques.
Enfin, sur le plan cognitif, l’IA, bien qu’interactive et engageante, pourrait provoquer une surcharge cognitive, notamment chez les jeunes enfants, qui doivent jongler entre l’interface numérique et les apprentissages fondamentaux.
Une dépendance excessive à ces outils pourrait aussi limiter leur autonomie et leur capacité à développer des stratégies de lecture efficaces. Ainsi, bien que prometteuse, l’IA en éducation doit être utilisée avec mesure et discernement pour en maximiser les bénéfices sans en subir les effets négatifs. Plus largement, son impact financier, mais aussi écologique, en termes de consommation énergétique, reste à déterminer et devra être pris en compte dans de futures recherches.
Xavier Aparicio, Professeur des Universités en psychologie cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Camille Pistre, Doctorante, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Ugo Ballenghein, Professeur des Universités – Psychologie Cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Sur le même sujet, découvrez tous nos articles sur l’intelligence artificielle.