Quel vaste sujet que les ENT qui soufflent déjà leur 20ème bougie ! Avec Marie Deroide, cheffe de projet ENT entre 2009 et 2013 actuellement cheffe du bureau des outils et services numériques pour l’éducation à la Direction du Numérique pour l’éducation, nous parcourons, à l’occasion d’une interview sur le salon Educatech Expo, vingt années pour les Espaces Numériques de Travail, qui ont vu le jour en 2003.
Entre 2003 et 2009, année où Marie Deroide a rejoint les équipes de la DNE au sein du service en charge des ENT, ce fut la période des appels à projets, à l’initiative de l’État et de la Caisse des dépôts. Ces deux partenaires nationaux ont financé des expérimentations portées par les collectivités territoriales, elles-mêmes en partenariat avec les académies.
2003-2009 : la période de construction des ENT
« Les deux appels à projets lancés en 2003 et en 2005 ont connu un certain succès dans les territoires et la majorité de ces projets est passée à la phase de généralisation », explique Marie Deroide.
En 2006 a été mis en place le Schéma Directeur des Espaces numériques de Travail (SDET) qui était, au départ, commun avec l’enseignement supérieur ; une scission a eu lieu ensuite car le contexte organisationnel et les besoins entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur se sont avérés trop éloignés.
Ce document, SDET, est régulièrement mis à jour depuis (voir la version de juin 2022 ici).
Ce cadre de référence national existe toujours et permet d’accompagner les projets ; que l’émulation d’un territoire à l’autre soit différente toute aussi bien que la solution industrielle choisie, le niveau de services proposé à la communauté éducative doit être quasi identique. C’est ce que permet le SDET.
Pour moi, ce qui marque la fin de cette période, c’est la circulaire qui est liée au cahier de textes, souvenir de l’année 2009-2010 qui a “enterré“ le cahier de textes papier et qui a entériné le cahier de textes numérique, colonne vertébrale des ENT.
Après la construction, l’heure est à la généralisation à partir de 2010
La première grande région à se lancer dans la généralisation a été la région Alsace avec l’académie de Strasbourg puis l’académie de Toulouse… « Il y avait donc à partir de 2010, des collectivités très impliquées avec le souhait, pour celles-ci, de fournir surtout un service aux parents d’élèves et d’outiller les missions éducatives ».
Il est vrai que du côté des parents d’élèves, nous avons connu une adhésion assez forte, parfois même avant que les enseignants ne les intègrent massivement dans leur pratique.
Elle insiste sur le fait qu’au cours de cette période, les collectivités territoriales, en particulier les départements pour les collèges et régions pour les lycées, ont énormément investi pour les ENT ainsi que dans les infrastructures réseaux pour accéder aux services.
Puis est arrivée … la pandémie de COVID 19
La période de COVID 19 et notamment les différents moments de confinement, ont permis de réaliser la véritable plus-value de l’ENT. Cela a fait entrer dans le dispositif de nouveaux usagers, « en particulier du côté des enseignants », souligne Marie Deroide. « Et beaucoup sont restés depuis cette période-là », ajoute-t-elle.
Le dispositif de mesure d’audience, DNMA permet, quasiment depuis le début, de recueillir les données chiffrées d’utilisation de l’ENT, sur l’ensemble du territoire avec des indicateurs normés et comparables.
« D’un point de vue recherche et suivi des parcours, cet outil est vraiment très intéressant », explique-t-elle.
Le DNMA permet de constater notamment, la forte adhésion des parents sur la période de généralisation des ENT entre 2009 et 2019 ; puis à partir du COVID, l’arrivée massive des enseignants qui devaient assurer la continuité pédagogique et « qui ont vu l’intérêt de certains outils qu’ils n’utilisaient pas forcément avant, comme les outils partagés, casiers en ligne, donc sur des aspects plus pédagogiques », précise-t-elle.
L’ENT, presque un incontournable aujourd’hui dans le second degré. A-t-il “fait des petits“ dans nos écoles maternelles et primaires ?
Aujourd’hui, il y a encore une forte disparité entre le premier et le second degré dans le développement des ENT. « C’est lié notamment au nombre de communes concernées par la mise en place de l’ENT dans le premier degré et la disparité très importante qui existe entre elles ».
En revanche, ce qu’il faut noter actuellement et qui favorise l’arrivée des ENT dans le premier degré, c’est le regroupement au sein d’un département ou d’une région, « ce qui permet de bénéficier de l’environnement contractuel et technologique, avec des éditeurs qui proposent une offre d’ensemble », souligne Marie Deroide.
L’arrivée des ressources numériques dans les ENT : un vrai changement de paradigme
À partir de 2010, les débats sur le poids du cartable n’en finissaient plus d’occuper le devant de la scène entre les manuels numériques qui n’arrivaient pas à se substituer aux manuels papier et cahiers mais aussi les « devices » transportés souvent en plus par les élèves, en quelque sorte, un “numérique“ qui ne réglait rien au problème du poids du cartable.
Aujourd’hui, les progrès sont indéniables et on assiste, surtout dans les lycées, au passage au « tout numérique » où l’élève n’a plus de manuels papier.
« Cela a été permis par les investissements réalisés encore une fois par les collectivités et d’abord très visible dans les régions qui ont investi sur les 3 fronts des infrastructures, matériels et services & ressources numériques », précise Marie Deroide.
Du côté du Ministère, nous avons mis en place le GAR, Gestionnaire d’Accès aux Ressources, qui permet d’augmenter l’espace de confiance de l’ENT et de simplifier les parcours usagers pour accéder aux ressources.
« C’est un intermédiaire qui envoie les bonnes données aux bons acteurs et c’est un immense projet d’interopérabilité et de normalisation des échanges entre des acteurs distincts », explique-t-elle.
Et elle ajoute : « on va dire que le GAR a profondément changé les choses et a dessiné le début de l’évolution profonde des ENT avec une dynamique d’ouverture ».
Et maintenant ?
Aujourd’hui, les collectivités déclarent qu’il n’est pas possible de se passer de l’ENT dans les établissements scolaires, qui en font leur extension numérique.
« Ce qui va changer c’est l’interopérabilité croissante de la part des ENT mais aussi des acteurs qui fournissent des services et qui doivent pouvoir échanger des données. Nous passons à l’ère de l’ouverture de la donnée, de la consommation de la donnée par des acteurs habilités », exprime Marie Deroide.
« En 2023, nous avons réalisé la version 1 d’un document qui s’intitule “la doctrine technique du numérique pour l’Éducation“, qui vient encadrer l’ensemble des services du numérique éducatif et pas seulement ceux des ENT, malgré leur place prépondérante dans l’écosystème ».
Les ENT ont donc encore de belles années devant eux avec l’objectif certain de « faire sauter les verrous » pour pouvoir échanger des données facilement et en sécurité « pour aller vers un même objectif à savoir une expérience utilisateur optimale », conclut Marie Deroide.
Plus d’infos : eduscol.education.fr