Les intervenantes étaient Vanessa Lalo, Psychologue spécialiste des pratiques numériques, et Louisiana Ruppert, chargée de pédagogie numérique et professeure de SVT, l’animation était assurée par Pierre Schmitt, directeur technique et innovation chez LDE.
À quelles conditions le numérique peut-il être un facteur de bien-être ?
Vanessa Lalo commence par rappeler qu’il faut bien considérer que le numérique n’est pas une baguette magique, il est essentiel que l’enseignant soit à l’aise avec ce qu’il utilise dans un scénario pédagogique qui lui convient. Pour que les élèves se sentent bien il faut que l’enseignant se sente bien aussi.
Louisiana Ruppert approuve, il faut former les élèves aux logiciels pour le bac donc elle intègre tôt le numérique aux cours. Pour elle, le numérique est un pharmakon1, si ça ne marche pas tout tombe à l’eau, si ça marche c’est un plus qui capte les élèves et les implique. Il permet de rendre le cours participatif, de faire des présentations plus concrètes donc plus efficaces et motivantes. Quand ça se passe bien, la motivation des élèves redonne de l’énergie au prof, ça aide à lutter contre l’usure et le découragement, c’est gratifiant et ça enclenche une spirale positive.
La fluidité permet d’être bien dans ce qu’on est en train de faire au moment où on le fait, d’être très motivé, engagé et concentré, en état de flow2.
Par exemple, on peut montrer les effets du réchauffement climatique avec Google Earth, et visualiser les conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur Londres. Choisir les bons outils au bon moment permet d’enclencher la réflexion et des discussions en suscitant l’intérêt.
Autre exemple concret, un escape game sur la différenciation sexuelle où la scénarisation et le jeu de rôle facilitent les échanges sur un sujet sensible qui pourrait mettre des élèves mal à l’aise s’il était abordé directement.
La psychologue confirme que la médiation via l’immersion dans un univers virtuel permet un pas de côté mais insiste sur l’accompagnement de l’adulte qui reste indispensable pour qu’il y ait des apprentissages. Le numérique permet, en variant les modalités, de s’adapter à des styles cognitifs différents, il n’est qu’un accessoire de l’enseignant dans le cours, qui aide à faire passer le message. En effet, la professeure constate que le numérique facilite les interactions et lui permet de moins se préoccuper du contenu pendant la séance au profit de la focalisation sur les élèves, leurs réactions et leurs besoins. Le temps de préparation d’une séance numérique interactive est très long mais ce sera réutilisable, pour d’autres classes et d’autres années. De plus, le plaisir de faire découvrir ce travail aux élèves, enthousiasme l’enseignant ce qui est contagieux et positif.
Qu’en dit l’Institution scolaire ?
Les inspecteurs demandent à ce que le numérique soit un outil comme un autre, utilisé à bon escient, par exemple pour visualiser une molécule en 3D. Le numérique est aussi considéré comme étant utile pour différencier… d’un autre côté on ne sait pas s’il faut utiliser “les écrans” à l’École, si c’est bien ou mal, si c’est sain, positif et de confiance. Les parents aussi sont pris dans ces injonctions contradictoires : d’un côté on leur demande de limiter “l’exposition aux écrans” de leurs enfants et de l’autre le travail scolaire nécessite l’utilisation du numérique. Il faut arriver à faire alliance avec eux dans ce contexte complexe.
Comment passer du mal-être au bien-être numérique ?
Certains enseignants peuvent être bloqués par ce qui est irritant dans le numérique : problèmes de connexion, pub ciblée… Vanessa Lalo suggère d’utiliser le système D pour dépasser ces problèmes, et pourquoi pas avec la contribution des élèves.
On pousse les enseignants à s’emparer du numérique tout en agitant des dangers et des peurs plus ou moins fondés, c’est logique que les parents soient perdus, inquiets voire en opposition. Or, l’égalité des chances suppose d’apprendre à tout le monde à tirer profit du numérique, l’École est là pour ça !
Par ailleurs, ce qui permet d’être bien à l’École : développer ses compétences psychosociales, gérer son stress, collaborer… sont des choses qu’on peut mobiliser via le numérique puis transférer dans d’autres types d’activités. Faire une production numérique commune, qui demande d’échanger, de chercher, de s’organiser, de collaborer… est un facteur d’amélioration du climat scolaire en suscitant un engagement volontaire des élèves en plus d’être tout à fait pertinent pour les apprentissages.
Le numérique n’est pas comme on l’entend souvent “juste un outil” c’est un contexte, des espaces, des cultures… on y vit des expériences, on y apprend des choses, on y rencontre des gens, on y ressent des émotions, on y travaille…L’École ne peut rester à la marge de cela, ajoute Louisiana Ruppert on doit intégrer le numérique dans nos pratiques, c’est dans les programmes donc incontournable.
Enfin, la psychologue clarifie que l’addiction au numérique n’existe pas, ça n’a pas de sens, il y a des usages problématiques mais pas d’addiction au sens médical du terme. L’histoire de la dopamine, telle que présentée par la série d’Arte véhicule des choses fausses3 mais elle est pourtant recommandée par l’institution, c’est dommage et contre-productif.
Elle rappelle que par ailleurs le numérique est très aidant dans certaines situations comme les phobies sociales et scolaires, où il se révèle indispensable pour accompagner les élèves concernés. Souvent on se trompe, quand un élève décroche et se réfugie sur les réseaux sociaux ou les jeux vidéos c’est parce qu’il ne va pas bien et non l’inverse.
Pour espérer passer de la conception d’un mal-être numérique fatal à un bien-être numérique atteignable, il faudrait que chacun (profs, élèves, parents, Institution scolaire, EdTech, société) puisse sortir des idées reçues.
Un enjeu à partager entre jeunes et adultes ?
1 – Le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire.
2 – Le flow est un état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement plongée dans son activité, avec une concentration maximale, un engagement et une satisfaction d’accomplissement total.
3 – “Economie de l’attention : on fait le point ?” un article de Vincent Bernard, médiateur numérique, qui fait le point de façon argumentée et sourcée sur cette histoire de dopamine .
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Synthèse rédigée par Stéphanie de Vanssay