Sylvain Wagnon, Université de Montpellier et Sihame Chkair, Université de Montpellier
L’instauration du paquet neutre pour lutter contre le tabagisme ou encore l’élaboration du logo nutritionnel NutriScore pour aider les consommateurs à mieux se repérer parmi les produits alimentaires sont des mesures qui ont été pensées à partir de programmes de recherches en santé publique fondées sur les données probantes. Cette méthodologie – ou « evidence-based practice » est développée dans le domaine médical depuis plus de trois décennies.
L’Organisation mondiale de la santé l’a définie comme un outil majeur pour développer de nouvelles connaissances, évaluer les effets de nouvelles pratiques et prendre des décisions dans le domaine de la santé publique et des soins de santé.
Construites à partir de données dites probantes, ces recherches scientifiques rigoureuses et expérimentales produisent des preuves, créant ainsi une pyramide, une hiérarchie dans laquelle les recherches quantitatives sont jugées plus fiables statistiquement que les recherches qualitatives et collaboratives.
Ce type de travaux, fondés sur des évaluations comparatives à partir de critères quantitatifs et observables, est-il pertinent dans le domaine éducatif ?
Mesurer l’efficacité des dispositifs éducatifs
L’appui sur des données probantes n’est nouveau en éducation. L’idée même de tests quantitatifs est présente depuis le début du XXe siècle chez le psychologue Alfred Binet, inventeur des tests d’intelligence et précurseur de la notion de quotient intellectuel, ou chez le pédagogue belge Ovide Decroly figure de l’Éducation nouvelle, qui élabore des tests mentaux pour les élèves.
Depuis une dizaine d’années, l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) préconise des normes internationales fondées sur des données probantes. En France, le Conseil scientifique de l’éducation nationale, créé en 2018, à l’instar d’autres institutions aux États-Unis, Royaume-Uni, Danemark ou Pays-Bas, recommande le développement de recherches scientifiques quantitatives fondées sur les données probantes. L’objectif affirmé, dans ce que l’on nomme une recherche translationnelle est de permettre par la recherche un impact immédiat sur les pratiques pédagogiques. En se voulant scientifiques et indiscutables, les recherches fondées sur les données probantes sous-tendent la possibilité d’un passage direct de la recherche à la classe.
Une méthodologie peut-elle suffire à définir une pratique efficace ou même une méthode pédagogique précise ? L’un des risques est de faire des données probantes un dogme, de créer une hiérarchie entre les recherches scientifiques voir de discréditer les recherches n’utilisant pas les données probantes comme les recherches appliquées ou collaboratives. La définition même des données probantes en éducation est liée à leur usage : il s’agit de transformer l’enseignement et en particulier les méthodes d’apprentissages.
La méthodologie des données probantes entend mettre en avant « ce qui marche », ce qui est efficace. Certains chercheurs posent la question : L’efficacité est-elle une finalité digne de l’éducation ? En effet, qu’entend-on par efficace ? S’agit-il de former de futurs citoyens d’une société démocratique ou des futurs travailleurs et, dans ce cas, lesquels ? S’agit-il de développer l’épanouissement des individus et leur bien-être ?
En intégrant la question de l’efficacité, la méthodologie des données probantes pose aussi celle de la transformation des pratiques pédagogiques. Mais est-il suffisant d’avoir des données probantes sur l’efficacité d’un dispositif éducatif pour qu’il produise des effets positifs en classe ? Si l’on compare l’acte éducatif à la confection d’un plat, il semble évident qu’une recette est nécessaire, ce que promettent d’apporter les données probantes. Cependant, le rôle du cuisinier est primordial, son intuition, son témoignage, son expérience, le choix des ingrédients, le contexte et le temps considéré sont des paramètres aussi importants que la recette pour le succès du plat !
Varier les cadres de recherche pour saisir la complexité des situations
Néanmoins, la méthodologie fondée sur les données probantes offre la possibilité de recherches rigoureuses, scientifiques, qui s’appuie sur des panels pertinents et significatifs. Le passage de la recherche à la pratique, du laboratoire à la classe est une clé de la réussite de l’intégration de nouvelles pratiques pédagogiques dans un monde en mutation. En France, les recherches fondées sur les données probantes se multiplient sur la possible intégration de nouvelles pratiques de l’école dehors, du yoga, de la méditation ou du développement des compétences psychosociales.
Pour que les données probantes soient aussi des données éclairantes, on ne peut se limiter à l’analyse de données mesurables et quantifiables. L’éducation est un phénomène complexe et suppose de prendre en compte les multiples paramètres de contexte, d’environnement, d’organisation du temps et des élèves, d’espaces, de mentalités des différents acteurs, élèves, enseignants, adultes non enseignants, parents.
L’influence des données probantes au sein des politiques publiques d’éducation est grandissante. Elle est une méthode parmi d’autres, qui peut apporter des outils d’aide à la prise de décision. Rendre un accès plus aisé aux connaissances scientifiques, permettre aux enseignants, principaux acteurs de la réussite d’un tel transfert, de s’approprier et d’intégrer les connaissances des recherches et des études est une condition de la réussite de la transformation des systèmes éducatifs.
Notre système éducatif pour évoluer a besoin de recherches scientifiques fiables, quelle que soit la méthodologie choisie. Le passage de la recherche à la pratique en classe n’est jamais une évidence. Faire des enseignants les acteurs majeurs des recherches, leur offrir la possibilité de les infléchir par leur expérience, ouvre des perspectives pour mieux connaitre l’acte éducatif mais aussi permettre de résoudre les multiples défis de l’éducation.
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier et Sihame Chkair, Docteure en économie de la santé et doctorante en sciences de l’éducation, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.