Le colloque scientifique de Ludovia, lieux d’échanges et de réflexions, poursuit son exploration des problématiques posées par le numérique dans les pratiques éducatives et/ou ludiques en convoquant des approches pluridisciplinaires.
Le thématique retenue cette année est : le bien-être et le numérique. Découvrez le décryptage du thème de l’année avec Eric Fourcaud.
Le bien-être – dont on sait depuis Tocqueville (1835-1840/1981) qu’il constitue une passion démocratique par excellence – a suscité nombre de publications et de conférences. Les médias et les supports scientifiques questionnement régulièrement cette thématique dont les représentations ont évolué au fil du temps et selon les disciplines. La philosophie en a décodé nombre de clés qu’elle livre depuis l’Antiquité en proposant une mosaïque de définitions et de regards, jusqu’à en faire la notion clé d’un des principaux courants historiques de la philosophie politique et morale, à savoir l’utilitarisme (Mill, 1863/2018). La théologie l’associe aux fins dernières et tente d’échapper aux approches descriptives. La psychologie perçoit une dimension thérapeutique et une réduction du mal-être. Une majorité de travaux de sciences humaines et sociales, d’information communication et d’éducation distinguent le well-being de l’happiness, le bonheur.
Le numérique, porteur de promesses, de sollicitations et d’excitations, ne pouvait ignorer ce marché. L’évolution des interfaces utilisateur, dans les desseins, ses designs éditoriaux et d’usages (Pignier, 2014 : 51), a pris des directions qui intègrent systématiquement un gain d’agrément. Cette approche user-friendly propose notamment l’automatisation de tâches répétitives, le recours à des masques de saisie qui suppriment la réflexion technique dans la création ou le partage de contenus, l’encouragement personnel lié à la facilité d’emploi qu’Hunyadi a proposé d’appeler le principe de commodité (2019). L’interface participe d’un bien-être, tel qu’il est perçu, à ce niveau, par les concepteurs, avant même d’évoquer des fonctionnalités logicielles.
Ces fonctionnalités visent globalement un soulagement des tâches cognitives, physiques, d’élévation sociale et d’individuation. Ainsi, outre les programmes informatiques traditionnels, des apps concernent désormais la gestion du temps, la méditation, la prévention en santé, la domotique, le divertissement, etc. Ces applications peuvent être considérées comme associées à une vision du bien-être, sinon du bonheur, dans les productions technologiques. Elles concernent l’ensemble des champs de l’existence en incluant l’éducation, le divertissement, l’apprentissage, la production bureautique, graphique et musicale, le jeu.
Le jeu, par exemple, est traversé par la question du bien-être. Les wholesome games, cozy games (Waszkiewicz & Bakun, 2020) et empathy games (Pozo, 2018) sont l’expression directe de l’importance de la bienveillance et du care. Ils les placent au centre de leurs thématiques. Un expert médical a notamment été consulté dès la phase de conception du jeu Hellblade : Senua’s Sacrifice (Ninja Theory, 2017), afin de pouvoir y traiter la psychose de manière exhaustive. Celeste (Maddy Makes Games, 2018) aborde la dépression sans que cela n’ait été la volonté consciente de son créateur (Grayson, 2018). Pour les concepteurs (Genvo, 2020) et les joueurs (Kowert, 2020 ; Giner, 2022), le jeu procure des espaces d’expression et d’expérimentation propices à des réflexions centrées sur le bien-être.
De telles approches peuvent prendre des voies détournées et moins explicites en éducation, divertissement, gestion pédagogique. Dans chacun des domaines touchés par l’informatique et l’intelligence artificielle s’étend le règne du plaire et toucher (Lipovetsky, 2017). Il s’est insinué peu à peu en forme de position dominante qui attire d’ailleurs son lot de critiques (Cabanas et Illouz, 2018 ; Sloterdijk, 2009/2011). Les dispositifs et les logiciels qui les animent font, entre autres, reculer les frontières de l’intime et de la vie privée pour favoriser une « institution du soi » (Ehrenberg, 1998) voire « une institutionnalisation de soi » (Gobert, 2022 : 161) en ligne dont l’une des vertus serait la satisfaction d’un désir de communication d’image positive.
Il y a donc un enjeu fort, pour Ludovia, à concentrer le regard de la communauté universitaire sur les liens entre le bien-être et le mal-être avec la technologie.
Ludovia, colloque scientifique et université d’été, souhaite interroger les manifestations et les processus émergents du bien-être et du numérique dans leur diversité et leurs enjeux sous-jacents. Ces questionnements rassembleront des intervenants issus des communautés de chercheurs de diverses disciplines et des gens de métier en éducation, art, information, communication, etc.
Pour connaître toutes les modalités de soumission, téléchargez l’appel à communications.
Plus d’infos : ludovia.fr