L’enquête TIMMS 2016 et la dernière enquête PISA pointent le manque d’ancrage au réel de l’enseignement des mathématiques, tant dans l’observation du monde réel que dans les situations proposées, notamment en résolution de problèmes.
Stella Baruk, professeur de mathématiques et chercheur en pédagogie, a déjà dénoncé largement l’absence de sens donné par un grand nombre d’élèves en mathématiques. Dans l’expérience menée à l’IREM de Grenoble, au problème suivant : « Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l’âge du capitaine ? » sur 97 élèves, 76 ont donné une réponse en utilisant les nombres figurant dans l’énoncé : 26 ans ou 10 ans !
L’accès au sens passe donc par le vécu d’abord, puis une représentation de la situation (dessin, schéma, scénario…) pour aller vers une abstraction complète. L’importance de la langue dans les énoncés de problème est également à souligner et à enseigner. Le langage courant, le langage scolaire et le langage mathématique peuvent constituer des obstacles à l’accès au sens pour les élèves. Tous ces constats font que certains élèves que nous présentons comme très pertinents et ayant des capacités certaines en logique et en mathématiques, peuvent, lors de situations réelles, sembler perdre ces compétences lors du passage à une situation problème scolaire présentée sous forme d’un énoncé écrit.
Apport du numérique :
Un projet pédagogique qui s’appuie sur des supports numériques
Toutes les activités proposées dans M@ths en-vie tournent autour de supports numériques : des vidéos, des pages web et notamment des photos numériques prises dans l’environnement quotidien des élèves. Un simple appareil photo dans la classe peut permettre de se lancer dans les différentes activités.
En exerçant les élèves à repérer des situations réelles pouvant faire l’objet d’un investissement mathématique, ils se créent un répertoire de représentations qu’ils pourront ensuite mobiliser dans d’autres situations similaires.
À travers les supports réalisées ou mobilisés par les élèves et utilisées dans le cadre de ce dispositif :
- les élèves construisent l’intérêt d’apprendre les mathématiques parce que cette discipline s’inscrit dans leur réalité de tous les jours ;
- les élèves mettent du sens derrière chaque donnée et mettent alors en œuvre des procédures de résolution cohérentes ;
- les élèves construisent des ordres de grandeurs et exercent un regard critique sur les solutions de leurs problèmes.
L’utilisation de la photo permet alors de construire ce temps intermédiaire entre une situation vécue, réelle et une abstraction complète.
Des outils numériques au service de la démarche
Au-delà des supports numériques utilisés, les classes qui ont pu s’engager dans M@ths en-vie ont toutes mis en œuvre de nombreux autres outils numériques qui ont trouvé naturellement leur place et leur pertinence dans le dispositif :
- usages du vidéoprojecteur pour travailler collectivement sur les photos ;
- usages du tableau interactif pour manipuler et annoter les photos ;
- usages d’outils collaboratifs tel Padlet pour construire des énoncés de problèmes à partir de photos prises par les élèves ou pour se constituer des banques de photos et d’énoncés ;
- usages de réseaux sociaux pour participer à des projets collaboratifs entre classes ;
- usages de tablettes numériques pour travailler instantanément sur les photos prises par les élèves et pour réaliser des sorties mathématiques ;
- usages de sites internet d’école pour publier ses problèmes et les mettre à disposition d’autres élèves (notamment dans le cadre de la liaison CM2/6°)…
Des outils numériques au service de la communauté
Le développement de M@ths en-vie est dû dans un premier temps à la diffusion du projet sur internet, puis sur les réseaux sociaux amenant à la création de communautés enseignantes et ce, au travers de plusieurs outils :
- le site internet
- la page et le groupe facebook ;
- le compte twitter ;
- le compte Instagram.
Ces outils ont permis la mutualisation d’usages et de ressources autour du dispositif. Ils ont également permis de rapprocher des enseignants engagés qui contribuent chacun au développement d’outils et d’activités. Les productions d’enseignants sont mutualisées dans un espace dédié sur le site « L’espace des classes » et relayés via les réseaux mis en place pour le projet.
Des outils numériques en lien avec le monde numérique dans lequel vivent nos élèves
La création et l’utilisation de réseaux sociaux élèves (avec des comptes classes), au-delà des objectifs pédagogiques et disciplinaires permettent de travailler diverses compétences du CRCN qui sont nécessaires au regard du monde numérique dans lequel vivent nos élèves et ce, au travers des points suivants :
- la collaboration : engager des échanges entre élèves et amener des classes à collaborer ;
- les usages : changer l’image des réseaux sociaux auprès des enseignants, des parents et des élèves en les confrontant à un usage pédagogique ;
- la formation du citoyen : aborder les usages responsables et citoyens des réseaux sociaux à travers une mise en situation concrète.
Relation avec le thème de l’édition :
M@ths en-vie est né d’une volonté de proposer des pistes d’usages pédagogiques du numérique aux enseignants dotés d’outils au sein de leur école. Les mathématiques nous ont semblé être une excellente porte d’entrée, au travers de photographies de l’environnement des élèves. Dans notre projet initial, les usages étaient alors au centre du dispositif :
- pour la prise de vue
- pour la mise en forme des problèmes – pour projeter et annoter des photos
- pour optimiser des photos
- pour mutualiser des productions
- pour concevoir des activités interactives
- pour collaborer à la rédaction d’énoncés
Peu à peu, nous n’avons plus mis en avant cette entrée numérique car nous nous sommes rendu compte, suite à des retours d’expériences ou des collaborations en classe avec des collègues, que les outils arrivaient tout naturellement pour faire vivre la démarche.
Nous entendons par « sobriété numérique », l’usage rationnel des outils que l’on peut en faire en contexte pédagogique. On citera Nathalie Couzon, technopédagogue : « Une pratique pédagogique qui n’est portée par aucune intention pédagogique ne deviendra pas meilleure avec le numérique. Elle sera juste amplifiée par lui. Le numérique n’est efficace que s’il est combiné avec des pratiques qui le sont.»
Maths en-vie relève donc d’une utilisation du numérique « rationnelle » au regard des enjeux didactiques de la discipline et donc d’un usage raisonné et raisonnable ! Les différentes activités pourraient être réalisées sans les outils numériques, mais ces derniers vont permettre de décupler le potentiel des situations proposées aux élèves afin de mieux apprendre et mieux comprendre les différents concepts mathématiques.
Synthèse et apport du retour d’usage en classe :
Le dispositif M@ths en-vie a pu être proposé à plusieurs centaines d’enseignants lors d’animations pédagogiques ou de conférences. Nous avons suivi certains enseignants dans leur classe qui se sont appropriés, chacun à leur manière, le dispositif.
Voici les constats réalisés en tant que formateurs :
- Le dispositif est plébiscité par les enseignants lors des animations pédagogiques et massivement mis en œuvre dans les classes.
- Chaque enseignant s’approprie le projet de façon très différente, dans le ou les domaines mathématiques qu’il souhaite. Les activités s’insèrent naturellement dans les progressions et programmations établies.
- Les activités sont facilement appropriables et ne modifient pas l’organisation pédagogique de la classe, même si elles permettent d’induire des modalités d’organisation différentes : par exemple, nous avons constaté que dans toutes les classes des travaux de groupe avaient été mis en œuvre ou que les outils numériques avaient été mobilisés spontanément et naturellement.
- Les activités de M@ths en-vie favorisent les activités de recherche, le travail de groupe et la collaboration entre élèves.
Et en tant qu’enseignant :
- Constat d’un très fort engagement des élèves dans les activités, notamment pour des élèves qui ne rentraient jamais dans les taches de résolution de problèmes.
- Meilleure réussite des élèves en difficulté lors des temps de résolution de problèmes.
- Les photos favorisent la compréhension des situations et la réalisation de schéma aidant à la résolution.
- Les différentes données utilisées dans leur contexte permettent aux élèves de construire des répertoires de grandeurs.
- Les activités permettent de travailler parallèlement la maîtrise de la langue écrite, car de nombreuses situations de production peuvent être mises en œuvre : rédaction de consignes, d’énoncés, de phrases pour expliciter les données, d’histoires mathématiques… Les compétences orales sont également mises en jeu de par le travail sur le vocabulaire mathématique, la verbalisation des situations, la justification des procédures…
- Les élèves ne sont plus « exécutants » mais producteurs : prises de photos et production d’énoncés notamment.
- Concernant l’usage des réseaux sociaux, fort engouement des élèves et surtout, support à des échanges en classe sur leurs usages.
Résultat d’une expérimentation menée auprès de 179 élèves de CP, CE1 et CE2 : www.mathsenvie.fr/?p=1489
À l’occasion de l’université d’été de Ludovia, 19ème édition, de nombreux enseignants et autres membres de la communauté éducative vont venir présenter leur expérience avec le numérique sur le thème de l’année, « Éthique et Sobriété numérique en éducation ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût de ces ateliers jusqu’au début de l’évènement, lundi 22 août.
Christophe Gilger présentera l’atelier explorcamp « Un usage « raisonné » des outils numériques au service de l’enseignement des mathématique » sur la session II » L’ACCÈS AUX RESSOURCES ET AUX CONTENUS PÉDAGOGIQUES DANS UN ENVIRONNEMENT ÉTHIQUE ET NUMÉRIQUE » mardi 23 août après-midi.
Retrouvez tous les articles sur Ludovia#19 et toutes les présentations d’ateliers sur notre page dédiée.
Plus d’infos : www.ludovia.fr