À l’heure où s’instaure une banalisation de la surveillance, les technologies numériques semblent parfois mises au service d’une politique « antisociale ».
La recrudescence des dispositifs de sécurité post-attentats du 11 septembre, l’instauration controversée d’une loi dite de « sécurité globale », mais aussi l’injonction au confinement ou au couvre-feu suite à l’irruption de la pandémie de la covid-19, constituent autant de mesures liberticides qui mettent à mal les droits fondamentaux et la vie privée. Sous couvert d’une vigilance partagée, présentée comme un facteur d’amélioration de la vie sociale, les états ont adopté des technologies numériques de plus en plus intrusives : vidéosurveillance, dataveillance, drones, biométrie, géolocalisation, puces RFID, etc.
Dans ce contexte, des artistes et des associations citoyennes s’associent pour développer des contre-feu, reprendre le contrôle et renverser les rôles (surveillants/surveillés) ainsi que les frontières de plus en plus floues de la surveillance contemporaine. Est-il possible de restituer et garantir une démocratie de la surveillance ? Les citoyens peuvent-ils exercer un droit de sousveillance ? L’art peut-il avoir ici un rôle à jouer ?
À la frontière des arts numériques et des « surveillance studies », résolument critiques, cette communication propose l’ethnographie d’une controverse, politique et sociale, survenue à l’occasion de l’exposition publique du projet Capture de l’artiste italien Paolo Cirio (2020) et de la pétition européenne qu’elle a inauguré en ligne, visant à bannir la reconnaissance faciale dans l’espace public.
Nous examinons les principales actions mises en œuvre par l’artiste (intervention dans l’espace public, création d’une plateforme numérique interactive, exposition dans une institution artistique). Et nous revenons sur les incidences de la censure de son exposition au Fresnoy (Studio national des arts contemporains – Tourcoing) par le Ministère français de l’intérieur, ainsi que sur le relai social et citoyen qui en a résulté, en lien avec le débat autour des violences policières et l’ambivalence du projet de loi de «sécurité globale».
Indications bibliographiques
CRARY Jonathan, L’Art de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1994.
DE CERTEAU Michel, L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.
JARRIGE François, Techno-critiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, 2014.
FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir. Naissance de la Prison, Paris, Gallimard, 1975.
FOURMENTRAUX Jean-Paul, antiDATA, la désobéissance numérique. Art et Hacktivisme technocritique, Dijon, Les Presses du réel, 2020.
HARCOURT Bernard, La société d’exposition. Paris, Seuil, 2020.
LEVY Steven, L’éthique des Hackers [1984], Paris, Globe, 2013.
LYON David, Surveillance Studies. An Overview. Oxford, Polity, 2007.
MCLUHAN Marshall, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’Homme [1964], Paris, Seuil, 1968.
MONDZAIN Marie-José, Le Commerce des regards, Paris, Seuil, 2003.
MONDZAIN Marie-José, L’image peut-elle tuer, Paris, Bayard, (2002) 2015.
RAMONET, Ignacio, L’empire de la surveillance, Paris, Galilée, 2015.
VIRILIO Paul, La machine de vision, Paris, Galilée, 1988.
ZUBOFF Shoshana, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, Zulma, 2020.
Jean-Paul Fourmentraux, socio-anthropologue (PhD) est Professeur à l’université Aix-Marseille – Directeur de recherche (HDR Sorbonne) à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) au Centre Norbert Elias (UMR-CNRS 8562). Ses recherches interdisciplinaires portent sur les enjeux sociaux et politiques des arts et technologies numériques. Il est l’auteur des ouvrages Art et internet (CNRS, 2005, rééd. 2010), Artistes de laboratoire (Hermann, 2011), L’œuvre commune (Presses du réel, 2012), L’Œuvre virale (La Lettre Volée, 2013), antiDATA, la désobéissance numérique. Art et Hacktivisme technocritique, (Les Presses du réel, 2020). Il a également dirigé les ouvrages : L’Ere Post-media (Hermann, 2012), Art et Science (CNRS, 2012), Identités numériques (CNRS, 2015), Digital Stories (Hermann, 2016), Images Interactives (La Lettre Volée, 2017).
ehess.academia.edu/JeanPaulFourmentraux
www.omnsh.org/jean-paul.fourmentraux
Dans le cadre du colloque scientifique de LUDOVIA, Jean-Paul Fourmentraux a présenté « Œil pour œil : art et sousveillance numérique » sur la session « Art et numérique » mercredi 25 août.
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