Digital learning : Le terme ‘social’, éminemment polysémique, renvoie autant aux faits sociaux dans leur ensemble qu’aux conditions de vie, aux interactions, aux sociabilités, au ‘vivre ensemble’ : des phénomènes particulièrement secoués par l’avènement du numérique (Levy, 1997 ; Wolton, 2003). A ce titre, dans le domaine de l’enseignement, les travaux reliant social et numérique sont nombreux.
Ces travaux évoquent notamment les implications que peut avoir le numérique ; dans les relations sociales qui se tissent au sein des situations pédagogiques ; dans la lutte contre les inégalités sociales, avec les MOOC, notamment (Karsenti, 2013) ; ou, au contraire, dans le renforcement de certaines fractures sociales, dites aggravées par la crise de Covid-19 (Russo et al., 2020). Cependant, un aspect reste encore peu exploré : les implications que peut avoir le numérique dans les dynamiques sociales qui se tissent au sein des dispositifs d’aide à la réussite universitaire. Notre contribution ambitionne de combler ce manque.
Terrain d’expérimentation
Nous proposons l’étude d’un dispositif d’aide à la réussite universitaire (la Remédiation), impulsé, en première année de Licence, par la Loi ORE (Orientation et Réussite des Étudiants) ; dispositif que nous avons conçu et que nous conduisons, en tant que MCF en SIC et Ingénieure en Pédagogiques Numériques Innovantes, au sein du Département (Information-Communication) de l’université Paul-Valéry (Montpellier 3), depuis septembre 2018 (soit : en mode hybride de septembre 2018 à mars 2020, puis en tout distanciel à partir du mois de mars 2020, en raison de la crise de COVID-19). Ce dispositif d’aide à la réussite, déployé ‘en configuration hybride’ puis ‘en tout distanciel’, constitue, à notre sens, un terrain et un terreau fertile pour étudier les implications que peut avoir le numérique dans les dynamiques sociales qui se tissent au sein des dispositifs d’aide à la réussite universitaire.
Méthode de recherche
La méthode de recherche convoquée consiste en une démarche qualitative (Paillé, 2005) et ethnographique (Coulon, 1993) reposant sur un recueil de données expérientielles, en situation ; données ensuite soumises à une catégorisation, une analyse thématique de contenu (Negura, 2006) et une confrontation à des travaux scientifiques existants.
Résultats
Dans le cadre de notre dispositif de Remédiation, nous fédérons nos étudiants autour d’un apprentissage par projet (Perrenoud, 2002) hybride (Burton et al., 2011). Nous constituons les étudiants en Entreprise d’Entrainement Pédagogique (EEP) : plus précisément, en agence de communication junior, chargée de la promotion, en ligne, des initiatives originales qui se développent dans leur université. Cette ingénierie, ancrée dans un apprentissage par projet collaboratif et numérisé, s’est avérée capable de générer diverses dynamiques sociales :
- Conduite de projet, management horizontal, développement personnel
En ancrant notre dispositif dans une conduite de projet hybride, recourant à un management horizontal qui favorise l’empowerment des apprenants, nous renforçons la construction identitaire (Calin, 2005 ; Marc, 2016), la confiance en soi, l’autonomie, la responsabilisation, la prise d’initiatives. Ces dimensions se sont particulièrement révélées lorsque les étudiants sont devenus force de proposition et ont créé – en autonomie et en complément de nos séances officielles de Rémédiation – leurs propres séances, leurs propres projets (et notamment #StudentsArt4Hope, et #EtudAstuces, projets artistique/solidaire incubateurs d’espoir en contexte de crise).
- Agence junior digitale, dynamiques de groupe, bouclier contre l’isolement
En constituant les étudiants en agence de communication junior digitale, nous faisons émerger différentes dynamiques de groupes (Faucheux, 1957) : le sentiment d’appartenance communautaire (Chédotel, 2004), le travail collaboratif, les règles de ‘vivre-ensemble’ / d’‘être-ensemble’ numériques (Casilli, 2010), le team flow (Van den Hout et al., 2016), la cohésion digitale, les échanges numérisés informels à teneur phatique (nouvelles, humeurs, goûts, anniversaires…), l’entraide, la solidarité (Pleyers, 2020)… En contexte de crise sanitaire et de confinement, ces dynamiques se sont révélées constituer de précieux boucliers anti-isolement et anti-décrochage.
- Collaborations en ligne, e-réseau, e-reputation, e-intégration
En confiant aux étudiants la promotion des initiatives qui se développent dans leur université, nous les amenons à mobiliser l’outil numérique pour entrer en contact et collaborer avec une multitude d’acteurs : étudiants, enseignants, membres du personnel administratif. Nous les amenons ainsi à se constituer un (e-)réseau, valorisant leur (e-)réputation (Cardon et al., 2011) et favorisant leur (e-)intégration.
- Pédagogie active hybridée, littératies/citoyenneté numériques, acteurs sociaux adaptés
En articulant notre dispositif autour d’une conduite de projet, nous recourons à une pédagogie active hybridée, qui pousse les étudiants à apprendre-en-faisant (learning-by-doing) (Lemaitre, 2007). Cette pédagogie s’avère particulièrement fertile, car elle leur permet d’acquérir des compétences (Sà & Serpa, 2020), des littératies (Le Deuff, 2012 ; Hoechsmann, DeWaard, 2015), une citoyenneté (Greffet, Wojcik, 2014) numériques, devenues indispensables dans les milieux universitaire et professionnel contemporains. Plus largement, cette pédagogie les amène à devenir des acteurs sociaux adaptés à la numérisation du monde dans lequel ils évoluent.
- Distanciel, résilience et fractures
Au mois de mars 2020, le passage de notre dispositif en tout distanciel (en raison du confinement lié à la COVID-19) a révélé combien l’outil numérique peut permettre à une action pédagogique de se montrer résiliente (Amato et al., 2014). En effet, celui-ci nous a permis de maintenir une présence à distance (Jézégou, 2010), de poursuivre les activités, de pérenniser l’action, malgré des aléas contextuels inédits. Toutefois, le passage au tout distanciel a simultanément révélé combien le numérique pouvait être générateur de fractures (Granjon, 2011): (1) des fractures socio-économiques (entre les détenteurs – ou non – des équipements requis pour prendre part au dispositif) ; (2) des fractures socio-culturelles (entre les détenteurs – ou non – des compétences et littératies permettant de prendre part au dispositif) ; (3) des fractures relationnelles (entre acteurs ayant perdu le contact physique) ; (4) des fractures éthiques (acteurs s’interrogeant sur les risques et biais liés aux usages de l’outil numérique).
L’étude proposée ici nous semble apporter des enseignements féconds pour la réflexion sur les dynamiques et enjeux sociaux qui se jouent dans les dispositifs d’apprentissage hybrides et – plus largement – dans l’enseignement contemporain. Elle permet d’entrevoir les atouts que peut avoir ce type d’ingénierie (notamment en contexte de crise sanitaire généralisée) et les défis (fractures) qui peuvent se faire jour lorsque l’on y recourt.
Plus d’info sur : Stéphanie Marty & Katia Thomas Vasquez
Pour la 17ème édition du Colloque scientifique à Ludovia#18, 28 communications vous seront présentées sur le thème « Numériques & social ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût du colloque jusqu’au début de l’événement, lundi 23 août.
Stéphanie Marty et Katia Thomas Vasquez présenteront « Dynamiques et enjeux sociaux dans un dispositif d’aide à la réussite universitaire hybridé confronté à une crise sanitaire généralisée » sur la session « Continuité pédagogique, enseignement à distance », mardi 24 août après-midi.
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