À l’occasion de l’université d’été de Ludovia, 18ème édition, de nombreux enseignants et autres membres de la communauté éducative vont venir présenter leur expérience avec le numérique sur le thème de l’année, « Le numérique éducatif est-il social ? ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût de ces ateliers jusqu’au début de l’évènement, lundi 23 août.
Claire Dreyfus & Marie-Camille Fourcade présenteront « Parler sur et de l’évaluation avec les élèves pour renouveler la relation pédagogique » sur la session II « L’ACCÈS AUX RESSOURCES ET AUX CONTENUS PÉDAGOGIQUES DANS UNE SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE », mardi 24 août après-midi.
Problématique pédagogique :
L’évaluation est une de nos missions d’enseignant.e, pensée dans notre ingénierie pédagogique. Quand elle est formative en classe, elle revêt parfois une forme discursive et non instrumentée. Il apparaît de plus en plus nécessaire de la formaliser. Comment mettre en œuvre des stratégies d’évaluation formative médiatisées grâce au numérique et clairement visibles ? Comment garder sa dimension participative et sociale (référence à un article de Mickaël Bertrand, enseignant d’histoire-géographie) ? Comment cette médiatisation favorise une relation enseignant·e-élèves positive alors même que nous savons qu’elle est primordiale pour les apprentissages, en personnalisant l’échange ? À quel mix d’outils, de l’institutionnel aux outils qui questionnent le respect du RGPD, parvenir ?
À partir de l’analyse de trois démarches d’évaluation formative mise en oeuvre pendant la continuité pédagogique mais prolongeant des pratiques de classe, nous questionnons nos choix de médiatisation numériques au regard des enjeux de protection des données de nos élèves mais aussi de leur potentiel en termes de renouvellement de notre posture d’enseignante et de la relation pédagogique (entre les élèves et l’enseignant·e, entre les élèves, entre les élèves et le savoir).
Apport du numérique :
Pendant la continuité pédagogique, l’injonction était forte à utiliser les outils institutionnels comme l’ENT. Mais il n’est pas toujours évident de rester conforme selon les démarches initiées en classe permettant de repenser ses pratiques.
Pour conduire les évaluations négociées, les élèves et l’enseignante utilisent un tableur en ligne modifiable (google sheet) présentant la grille d’évaluation. Les échanges autour de ces tableurs co-remplis donnent l’occasion précieuse de définir précisément les attentes didactiques des tâches proposées (description d’une situation historique ou géographique, oral, production graphique). Cette démarche d’évaluation très explicite qui associe élèves et enseignante dans l’acte d’évaluer, au sens de donner de la valeur, contribue à renouveler la relation des élèves à cet objet crispant de l’évaluation, en rendant l’expérience plus positive. Cela permet aussi de renforcer la motivation intrinsèque des élèves par la contrôlabilité de la tâche offerte à travers cette co-évaluation, donc de favoriser l’engagement et les apprentissages.
Pour conduire une évaluation entre pairs des productions d’élèves sur plusieurs établissements, les élèves se positionnent sur un mur virtuel (padlet). Les élèves rédigent l’appréciation en se servant de la grille de critères et attribuent des “likes”, service proposé par padlet. L’alternative qui semble plus respectueuse du RGPD est Digipad, utilisé en fin d’année avec ses fonctions de commentaires et d’attribution d’étoiles. Ce temps d’évaluation entre pairs permet de conscientiser les critères et les compétences en jeu, tout en étant participative et sociale grâce au numérique.
Pour faire parler les copies des élèves, nous utilisons soit l’enregistreur vocal intégré dans le cahier de texte de nos ENT pour communiquer les feedbacks aux élèves soit des QR-codes : ceux-ci sont collés sur les copies et les travaux des élèves; les élèves lisent le QR-code avec des tablettes ou leur smartphone. Pour les QR-code, deux approches sont possibles. Soit l’élève dispose d’un seul QR-code à l’année, collé dans le cahier, qui renvoie à un dossier personnel sur Nextcloud dans lequel seront enregistrés tous ces feedback oraux de l’année ; côté enseignant, il est à noter que l’application Nextcloud sous Apple propose un micro d’enregistrement directement dans le dossier élève ; c’est un gain de temps précieux puisqu’il n’y pas pas de téléversement à faire. Soit le QR-code est unique et collé sur chaque copie avec Vocaroo ou Qwiqr.
Cet échange personnalisé permis par les QR-codes est une grande source de progrès pour les élèves tant sur les habiletés de l’oral que sur l’enjeu métacognitif des apprentissages et du développement des compétences.
Relation avec le thème de l’édition :
En analysant nos démarches, on s’interroge sur nos pratiques et nos choix : les stratégies que nous avons choisies sont-elles accessibles par tous et toutes et avec quels moyens ? Quelles plateformes utilisons-nous et comment respectent-elles les données personnelles de nos élèves ? Nos démarches en ligne, qu’elles soient utilisées en classe ou hors classe permettent-elles une sociabilisation des élèves, une interaction entre eux et elles pour faire éprouver le vivre ensemble ?
Synthèse et apport du retour d’usage en classe :
Nous proposons un retour d’expérience sur trois démarches dans lesquelles nous cherchons à mettre le numérique au service de renouvellement de l’évaluation et de l’interaction entre pairs.
Dans une première démarche, les élèves répondent à un scénario de tâche complexe les amenant à produire un cours sous format vidéo soumis et évalué par une classe du même niveau mais dans un autre établissement. Cette approche dite de classe renversée implique des échanges entre plusieurs classes ou plusieurs établissements, comme dans notre cas. Cette logique d’un méta-cours est transposable dans plusieurs disciplines : un méta-cours est un cours conçu par des élèves à l’attention d’autres élèves. Cette séquence est riche d’échanges entre les élèves et l’enseignant·e : un échange entre les élèves qui coopèrent dans la réalisation de ce travail d’abord et un échange entre élève et enseignant·e pour améliorer le travail et aider à la secondarisation des savoirs, dans une relation plus privilégiée autour du projet de chacun·e ; ici, ce joue un temps fort d‘évaluation formatrice : la grille d’évaluation co-construite médiatise (tableur en ligne modifiable) l’échange avec les élèves qui confrontent leur maquette aux critères ; nous arrêtons ensemble le niveau de maîtrise atteint sur chaque critère. Les élèves font le choix ou non d’améliorer leur proposition et de soumettre à nouveau leur travail. Une classe d’un autre établissement réceptionne les vidéos sur un mur collaboratif (padlet ou digipad) : les élèves rédigent l’appréciation en se servant de la grille de critères et l’attribuent des “likes” ou des “étoiles”. L’échange entre établissements autour de l’évaluation offre à nouveau des moments particulièrement riches, d’abord au moment de la rédaction de l’appréciation et de l’attribution de “likes” qui engagent les élèves dans un travail métacognitif en parlant des réalisations des camarades ; ensuite, au moment de la réception des évaluations produites par la classe partenaire qui permet de verbaliser les émotions.
Dans une seconde démarche, nous reproduisons l’évaluation formatrice déjà mise en place dans la démarche précédente : une évaluation négociée durant laquelle l’élève est partie prenante dans l’appréciation de son travail. Les élèves sont à nouveau mis en situation de produire du contenu, cette fois-ci en géographie. Ils et elles produisent une story map rendant compte de trois études de cas sur des thématiques du programme. Pour chaque description géographique, ils ont à disposition un tableau d’auto-évaluation (tableurs en ligne) qui reprend les critères présentés en début de séquence. “Attends, là, on a pas mis la définition de gaz à effet de serre… Tu vas chercher le manuel ?”. Cette organisation reposant sur la logique des écrits intermédiaires a favorisé chez eux la recherche de qualité et a considérablement amélioré leur compréhension des attentes de cet exercice didactique.
Enfin dans une troisième démarche, nous transmettons le feedback des copies sous forme orale. L’enregistrement oral nous permet de fournir des détails bien plus précis que ce que nous parvenons à faire à l’écrit. On est plus explicite. Par exemple, des phrases écrites par les élèves peuvent être lues à voix haute pour faire saisir à l’élève les éléments de pratiques langagières non-maîtrisés. Corriger à l’oral est aussi un moyen de varier nos pratiques enseignantes tout en montrant aux élèves l’importance de l’oralité, notamment dans sa fonction métacognitive où il s’agit de “parler sur” son travail. Ainsi, dans un principe d’isomorphie, nous pouvons demander aux élèves de “faire parler leur copie” à leur tour.
Il est intéressant de noter que les élèves ont moins tendance à se montrer réciproquement leur évaluation qu’à écouter le commentaire personnel qui leur était destiné, de façon presque confidentielle. Ce mode de rétroaction semble agir davantage sur la motivation intrinsèque de l’élève qui poursuit alors un but de maîtrise et de non de performance. Pour confirmer cette hypothèse, certain·es élèves ont été déçus de leur résultat à l’écoute de leur commentaire. Ils·elles ont demandé à pouvoir refaire le travail. Il semble ainsi que “faire parler les copies” favorise l’implication des élèves et leur engagement dans la remédiation. Cette médiatisation numérique de l’évaluation est un formidable outil pour entrer dans une logique d’évaluation au service des apprentissages et construire un statut positif de l’erreur. La relation pédagogique ne peut qu’en être modifiée positivement. Avec Qwiqr, il est possible de faire parler les élèves sur leur copie : leur entrée est nettement plus rapide dans les activités. Après avoir réalisé une production individuelle ou de groupe, les élèves enregistrent un oral : ils·elles justifient les choix effectués, racontent leur travail. Pour cela, ils·elles scannent le QR_code collé sur leur copie grâce à la tablette ou smartphone et se repèrent grâce au pictogramme en forme de micro. Entre deux séances d’activité, l’enseignant.e enregistre un feedback sur le même QR-code associé à la production : il·elle conseille, explicite la démarche en vue d’une amélioration du premier travail engagé par les élèves. L’outil utilisé permet en outre d’enrichir notre rétroaction avec une image, un texte court ou un lien vers une ressource répondant à la difficulté de l’élève pour soutenir l’effort de remédiation. L’individualisation est donc permise en fonction de ses besoins et de ses acquis. Un dialogue peut même s’ouvrir avec l’élève puisque celui-ci peut à son tour, sur le même QR-code, retourner un enregistrement oral à sa ou son professeur·e avec des traces d’activité à l’appui et engager un travail métacognitif en parlant de son travail. Concrètement, les élèves prennent connaissance de leur évaluation formative (écoute avec une tablette ou smartphone) et entreprennent d’améliorer leur travail. La tâche de remédiation terminée, ils·elles enregistrent un oral expliquant les modifications effectuées.
Plus d’infos sur : Claire Dreyfus & Maire-Camille Fourcade
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Repenser l’évaluation, la réhabiliter même aux yeux des élèves est devenu incontournable à l’ère du numérique. En conséquence les enseignants doivent déclencher un échange avec leurs élèves pour une réconciliation pédagogique par le truchement de réactions personnelles visant la demythification d’un agir professionnel qui fut pour longtemps stigmatisant pour ne pas dire rédhibitoire.
Pour donner du sens à de tels écueils , innover et utiliser le numérique restent des démarches alternatives pour en faire un processus de persévérance et de réussite.