Par Jean-François Cerisier, Université de Poitiers
Malgré le contexte exceptionnel de la pandémie de Covid-19, le 1er septembre 2020 fut somme toute un jour de rentrée scolaire presque ordinaire en France. Tous les élèves et leurs enseignants ou presque se sont retrouvés en présentiel. Aussi légitimes que soient les réticences et les craintes de certains, c’était une bonne nouvelle avec le secret espoir d’un retour durable à la « normale », c’est-à-dire à la situation antérieure.
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Quelques jours plus tard, un rebond de la pandémie s’annonce. Sans véritablement parvenir à un consensus, les spécialistes discutent son ampleur et sa durée probables dont on comprend qu’elles dépendront de facteurs impossibles à maîtriser comme les comportements individuels et la date de disponibilité d’un vaccin.
Selon les données publiées par l’Unesco, plus de 826 millions d’élèves sont concernés par une fermeture totale des établissements scolaires de leur pays et 450 millions par une fermeture partielle. Au Pérou par exemple, l’un des pays les plus touchés par la pandémie avec plus de 30 000 morts pour une population de 32 millions d’habitants (deux fois plus de morts qu’en France en proportion), les établissements scolaires ont été fermés le 12 mars et le sont encore, alors que l’année scolaire débute en mars pour se terminer à la fin décembre.
En France, dix jours après la rentrée des classes, le porte-parole du gouvernement annonçait la fermeture de 32 établissements scolaires et de 524 classes, nombre faible au regard des 61510 établissements publics et privés mais qui va croissant. Par ailleurs et sans qu’il soit possible de les comptabiliser précisément, un nombre conséquent d’élèves restent à la maison soit après un test positif au coronavirus, soit dans l’attente du résultat d’un test, soit par choix.
C’est ainsi qu’en Seine-Saint-Denis, 4000 élèves manquaient à l’appel à la rentrée. Sur le terrain, seuls les masques, le gel hydroalcoolique, la logistique de circulation et l’affichage des mesures barrière rappellent la pandémie et le risque latent qui pèse sur l’École pour les semaines, les mois et peut-être les années à venir.
Mobilisation enseignante
Le discours de l’État, maintes fois réitéré, se veut rassurant. Ainsi l’école serait-elle prête ! Prête à accueillir tous les élèves en présentiel et prête à activer l’un des deux scénarios de continuité pédagogique affichés par le ministère en fonction de l’importance des besoins. Le dispositif « ma classe à la maison » opéré par le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) est réactivé. Des enseignants et leurs élèves, placés en « quatorzaine » font de nouveau l’expérience de la « continuité pédagogique ».
Avec le confinement, le premier plan de continuité pédagogique avait été lancé avec un succès mitigé que soulignent les premières études disponibles. Il fallait s’y attendre ! L’étude Talis, réalisée en 2018 par l’OCDE et publiée très récemment souligne :
- le déficit de compétences des enseignants français dans la mobilisation des techniques numériques,
- le peu de communication des enseignants avec les parents,
- le faible recours à des modalités de travail collaboratives,
- les résistances du système éducatif au changement.
Quatre problèmes dont l’importance s’est confirmée durant le confinement qui a produit un puissant effet de loupe pour observer les forces et les faiblesses du système éducatif mais aussi les opportunités et les menaces qui se présentent à lui. Même s’il faudra encore du temps pour que les différentes recherches universitaires puissent fournir des analyses solides, approfondies et suffisamment distanciées de l’urgence de la situation, tous les observateurs attentifs ont pu noter une série d’éléments qui font largement écho aux quatre points soulevés par l’OCDE.
Le premier concerne l’évolution des pratiques pédagogiques. L’imprévisibilité de l’extension de la pandémie et donc des mesures sanitaires n’avait pu masquer l’impréparation de l’ensemble des institutions éducatives, en particulier en ce qui concerne la formation des enseignants à l’ingénierie pédagogique dont on sait que les principes, méthodes et outils (numériques ou pas) sont déterminants pour l’efficacité pédagogique et éducative.
Nul doute pourtant que la mobilisation considérable des enseignants et de l’ensemble des services de l’Éducation nationale aura limité l’impact du confinement. Si le recours aux techniques numériques s’est avéré essentiel pour maintenir la médiation pédagogique, il s’est heurté à des défauts d’équipement et de connectivité mais plus encore à cette difficulté de déployer une ingénierie technopédagogique adaptée, susceptible de minorer les effets des déterminants sociaux sur les réussites scolaires.
Le deuxième point, relatif à la place des parents à l’École, dont l’étude Talis montre qu’elle est plus faible en France que dans tous les autres pays de l’OCDE excepté la Belgique, a été radicalement questionné durant le confinement. Par nécessité et avec des modalités diverses, les parents ont été réintégrés dans la relation pédagogique. Ceux qui l’ont pu ont aidé leurs enfants en lien avec les enseignants et beaucoup ont découvert la nature et l’étendue du rôle des enseignants qu’ils ignoraient.
Le troisième point concerne l’organisation collaborative du travail des enseignants et de l’ensemble des acteurs de l’éducation, parent pauvre des méthodes de travail françaises selon l’étude Talis. Là encore, le confinement a bouleversé la donne et l’on a vu s’activer ou de créer de nombreux collectifs.
Aptitude au changement
Pour autant, ce régime de bricolage généralisé, même s’il a suscité beaucoup d’initiatives originales et permis bien des apprentissages techniques et pédagogiques, n’a pu garantir l’accès efficace et équitable à l’éducation au cœur du projet républicain. Il révèle les faiblesses déjà identifiées avant la pandémie et dont on a pu observer les effets délétères. Il fait également apparaître des opportunités pour transformer le système éducatif.
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Là, la quatrième difficulté pointée par l’étude Talis a de quoi inquiéter. Le système éducatif français est peu enclin au changement. Beaucoup a pourtant été dit sur la société d’après Covid. L’espoir d’une École de l’après a fait bruisser les réseaux sociaux pendant des semaines. Aujourd’hui, le virus circule toujours et la rentrée est morose. Tout le monde a compris que le retour à l’École d’avant était compromis « jusqu’à nouvel ordre ».
Deux questions se posent alors avec acuité. La première s’inscrit dans le présent. Au-delà du mantra gouvernemental, le système éducatif est-il véritablement prêt ? La deuxième nous invite à nous projeter dans le futur. L’école de demain adviendra-t-elle ? À la première, la réponse est malheureusement négative. Il y a bien eu une réaction technique : un effort d’équipement, un meilleur dimensionnement des plates-formes de services et de ressources mais elle ne saurait suffire à elle seule.
La formation des enseignants, celle des élèves auxquels manquent souvent les compétences nécessaires pour étudier à distance et en autonomie, la réorganisation des relations avec les familles, l’ouverture au travail collectif et intercatégoriel de l’ensemble des acteurs de l’éducation ne se décrètent pas.
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La réponse à la deuxième question reste ouverte. Il est toutefois clair que les changements importants, parfois structurels et souvent culturels dont l’École a besoin exigent l’élaboration d’un nouveau contrat social et éducatif, fruit d’une démarche participative et délibérative. Les états généraux du numérique éducatif pourraient apporter des éclairages précieux à ce processus. Reste à espérer qu’ils puissent jouer ce rôle et laisser s’exprimer les retours d’expériences critiques autant que les propositions enthousiastes.
Jean-François Cerisier, Professeur de sciences de l’information et de la communication, Université de Poitiers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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