Confinement et pratiques scolaires : quels enseignements pour l’École ? Ce fut le sujet proposé par Stéphane Brunel de La Ligue de l’Enseignement à l’occasion de l’Université d’été de LUDOVIA.
Crédit image : Cire Box
La Ligue de l’Enseignement, depuis sa fondation en 1866, a toujours souhaité se placer “à côté de l’École”, cheminer de conserve. C’est dans cet esprit de compagnonnage que des enseignants du primaire avaient été incités par la Ligue de l’Enseignement de l’Ariège à venir échanger, partager leurs expériences pour établir une sorte de bilan après une année scolaire inédite.
Stéphane Brunel, MCU à l’université de Bordeaux et président de la ligue de l’Enseignement de la Gironde est venu à LUDOVIA pour rendre compte de ces échanges et nous faire part, avec humour et parfois même un peu de provocation, de ses réflexions.
La période de confinement a été complexe pour tout le monde, on le sait. Beaucoup de familles ont découvert à cette occasion qu’enseigner était un vrai métier, une alchimie subtile. De leur côté, les enseignants ont eu à faire face à une institution qui les a parfois noyés sous les injonctions paradoxales, via des canaux hors-normes (médias) et ont pu toucher du doigts de façon encore plus précise un système profondément inégalitaire. Était-il question de “continuité pédagogique” ou de “continuité du système” ?
Il a fallu se mettre à distance des élèves et, ce faisant, construire de nouvelles relations avec eux. Cette période a été également l’occasion de porter un regard différent sur le rôle de l’évaluation, sur la notion de “travail scolaire”.
Beaucoup d’enseignants se sont sentis fragilisés dan leur métier, en partie à cause de l’irruption massive du numérique dans leurs pratiques. On le sait, tous ne sont pas égaux face aux outils numériques. C’est Stéphane Brunet qui évoque la métaphore de la locomotive : certains enseignants la conduisent, d’autres montent dans le train sans trop de difficultés, quand d’autres en sont encore à se demander ce qu’est une voie ferrée, à quoi elle peut servir et pour aller où. Et cela n’a rien à voir avec les compétences professionnelles de chacun. Car il y a un large fossé entre les exigence institutionnelles et les outils, leur disponibilité, leur maîtrise.
C’est sans doute ce qui a plongé beaucoup d’enseignants dans l’angoisse lors du confinement.
Pour Stéphane Brunel, un enseignant, comme tout transmetteur de savoir, est tiraillé par son éthique personnelle (ce que je veux faire, ce que je peux faire, ce que je dois faire) et sa mission d’émancipation. On ne peut pas s’émanciper de tout, et surtout pas du système social organisé dans lequel nous vivons. A quoi sert d’apprendre dans notre système actuel, érigé à l’aune du “progrès” technique, dans une vision purement utilitariste. On évoque souvent la culture comme rempart contre la barbarie, oubliant un peu trop vite que le système nazi, par exemple, a été construit par des gens extrêmement diplômés.
Alors à quoi sert l’École ? Elle propose aujourd’hui des enseignements normalisés, en s’appuyant sur des disciplines hiérarchisées (pourquoi donner un tel poids aux mathématiques sur l’ensemble du cursus scolaire alors que la plupart des problèmes de la vie courante peuvent être résolus avec une maîtrise correcte du programme de 4e ?) en n’accordant à la créativité que la portion congrue ? C’est un système et comme tout système, il dérive. Il en est de même pour le numérique, qui est système technique et qui dérive en raison de sa rapide obsolescence et qui pose rapidement des problèmes d’investissements. Malheureusement, l’école ne forme pas à la systémique.
Stéphane Brunel évoque les recherches d’Adrian Rifkin et le concept de “société liquide” développé par le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman et recommande de se replonger dans les ouvrages de Jacques Ellul (« exister, c’est résister » ).
Le système dans lequel nous vivons actuellement dérive, et l’intérêt des personnes et des fonctions sont devenus souvent antagonistes, générant une inadéquation psychosociale. Évoquant les travaux de Jane Goodall sur les grands singes, il y voit le principal frein : si la personne qui doit faire fonctionner le système n’y voit pas son intérêt, alors cela ne marchera pas. Et il souligne les nombreux freins qui empêchent selon lui l’Éducation Nationale de fonctionner. Il prend l’exemple de l’École normale supérieure, créée pour former les meilleurs enseignants alors qu’aujourd’hui, il n’y a aucune corrélation entre le fait d’avoir été un élève de Normale Sup’ et le fait d’être un bon enseignant.
Stéphane Brunel enjoint la hiérarchie à se remettre en cause, à reconnaître “l’Autre” comme un partenaire valable.
La présence du virus ayant rendu impossible le “faire ensemble” dans une école foncièrement tournée vers le socio-constructivisme, Stéphane Brunel nous incite à aller voir ce qui se pense du côté du constructionnisme de Seymour Papert, mathématicien, informaticien, éducateur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et un des pionniers de l’intelligence artificielle.
La période récente a vu surgir de nouvelles expressions, comme celle de “société apprenante” et a fait resurgir les apprentissages informels et la place de tous ces temps où l’on “apprend” en dehors de la classe, la place de l’éducation populaire…
Actuellement, dans les programmes, on pense le numérique par discipline et c’est une erreur. Penser le numérique comme un outil est une vision qui est en train de disparaître, heureusement.
Image d’illustration :
Greek terracotta figurine of a paedagogus with a child. Photo © flickr user Ostertag28
Cette conférence est disponible en replay pour les participants inscrits à LUDOVIA#17 via votre inscription et ce jusqu’au 15 novembre. Elle sera disponible pour tout le monde à compter du 16 novembre, sur ce même article LUDOMAG.
Synthèse réalisée par Mila St Anne