Le COVID-19 a clairement créé une « distorsion de l’histoire » ; le monde quoi qu’on le dise sera différent après cet épisode et laissera des traces. L’école que l’on prévoyait « du futur » devient une école « d’après » même si on ne mesure pas toutes les conséquences. LUDOVIA propose un regard croisé de plusieurs personnalités qui viennent d’horizon différents (entreprise, enseignement, collectivité, …) pour échanger sur leur vision de cette école d’après.
Crédit Photo : Cire Box
Résumé : Les intervenants proposent dans ces présentations rapides de 6mn40 (20 diapositives de 20 secondes chacune) leur vision d’une école d’après : une école ouverte sur le monde, sur la famille, sur les pratiques authentiques. Une école de la collaboration, véritable système apprenant au sein duquel se pratique la reconnaissance réciproque. Cette école nécessite un changement de posture de chacun. Elle accorde plus d’autonomie, de confiance à chacun des acteurs. Elle accepte d’innover, d’essayer, de travailler sur ses erreurs pour avancer. Mais elle doit aussi éviter les illusions : illusion de performance, de compétence. L’école d’après doit surtout faire un énorme travail pour rester une école républicaine, l’école de l’égalité.
Serge Ravet, Open Recognition Alliance : « l’école des possibles »
Tous savants, ignorants, reconnus et reconnaissants.
L’école de demain est une école ouverte sur le monde, qui offre des pratiques authentiques pour apprendre dans l’école et hors l’école et dans laquelle l’élève expérimente pour apprendre. C’est une école qui a les savoirs au cœur, qui prend à corps et à cœur les défis du XXIème siècle, une collectivité apprenante qui pratique la reconnaissance des compétences de l’autre au travers des openbadges.
Fabien Hobart et Régis Forgione (Nipédu) :
Conjuguer le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté dans l’action
Les enseignants sont-ils exécutants ou concepteurs ? Va-ton rester avec une dichotomie entre ceux qui savent et ceux qui ne font pas ? Ou alors vers un accompagnement à petit pas dans laquelle chaque démarche pédagogique est respectée ?
Pour faire le bilan du confinement et tracer des pistes pour l’école d’après, nos célèbres duettistes de Nipedu ont conjugué le pessimisme et l’optimisme. « L’école d’après, c’est la même qu’aujourd’hui mais en pire… ou en mieux ! ». En effet l’école d’avant était clivée autour des approches pédagogiques. L’école d’après semble avoir à cœur de prendre en compte les différents modes d’enseignement pour développer de nouvelles postures.
Dans le rapport au temps, le confinement a entrainé une hyperfragmentation du temps, une distorsion du temps enseignants de la charge mentale des enseignants. L’école d’après pourrait mieux structurer les réunions, mieux centrer la charge des enseignants sur le cœur de leur travail, ce qui les rend importants.
Quelle doit être la place du numérique éducatif dans l’école d’après ? Alors que les inégalités sont grandes entre ceux qui maîtrisent et ceux qui ne maîtrisent pas, le techno-enthousiasme a souvent été confondu avec le militantisme. Le confinement a amené une découverte de nouveaux possibles chez de nombreux enseignants.
En ce qui concerne les aspects humains, au-delà du confinement les enseignants sont épuisés par la succession des réformes et les injonctions paradoxales, ainsi que par la médiatisation qui pointe les problèmes éducatifs. Mais on sent aujourd’hui l’émergence d’un commun qui fonde l’école, qui s’appuie sur une plus souplesse qui peut redonner de la force à l’échelle locale.
Sur la forme scolaire, entre présentiel et distanciel, on s’est aperçu que toute transposition du présentiel en distanciel est vouée à l’échec. Le changement de posture devient un besoin plus qu’une injonction, on assiste à de petites révolutions pédagogiques internes. Le modèle SAMR de Ruben Puentedura est une grille de lecture accessible pour aider les enseignants à franchir les différents paliers d’utilisation du numérique, à changer de posture grâce à l’utilisation du numérique.
La formation des enseignants se faisait en mode descendant et connaissait une certaine désaffection. Le confinement a vu naître de nombreuses initiatives en ligne qui ont satisfait le besoin d’individualisation et de localisation de la formation.
L’école de demain doit travailler sur la posture.
Thierry Gobert, UPVD :
L’Ecole d’après c’est déjà aujourd’hui.
C’est une école qui, pendant le confinement, s’est ouverte sur la famille et les amis, sur le bricolage et la débrouillardise. Une école qui a cherché à motiver, à rendre autonome.
Mais c’est aussi le règne des illusions : illusion de contrôle de l’enseignant qui voit ses élèves connectés. Mais que font-ils, des élèves connectés à la classe virtuelle, en réalité ? Illusion de compétence, « c’est bon, si j’ai téléchargé le pdf je sais mon cours ». Le royaume de la procrastination aussi, tout est disponible en ligne et peut attendre demain.
L’école d’après va devoir apprendre à gérer les formes de présence et d’attention des élèves qui sont présents sous plusieurs formes et en plusieurs lieux.
Stéphane Brunel (Ligue de l’Enseignement) :
L’école de demain est celle dont on rêve.
La pandémie a confiné le monde, déplaçant l’école à la maison.
Les problèmes de l’école se sont déplacés à la maison, bouleversant ainsi les apprentissages, creusant les inégalités. Mais cela a aussi développé l’enseignement informel, redonné de la valeur au métier enseignant, remis en 1ère ligne le rôle éducatif des enfants. Les autres acteurs éducatifs se sont mobilisés.
L’école de demain est celle dont on rêve : plus équitable, plus solidaire, plus inclusive, plus participative, plus à l’écoute et bienveillante, Une école plus créative et transversale. Cette école doit être construite en commun, donner une place à chaque acteur pour qu’il puisse s’investir, autour des enfants qui doivent être au centre de cette école.
Pour bâtir cette école, il faut s’appuyer sur l’expérience utilisateur.
Patrick Ulles, président d’Easytis Steam Education :
On aura réussi à intégrer le numérique à l’école quand on n’en parlera plus.
Le confinement a révélé de grosses différences de compétences et d’équipement numériques. L’école d’après doit pratiquer le numérique à l’école pour développer des compétences numériques, des compétences ambitieuses qui ne se résument pas à résoudre des problèmes ponctuels mais qui préparent les élèves au monde dans lequel on vit. On parle ici de compétences STIAM : sciences, technologie, ingénierie, arts plastiques et mathématiques, pas seulement informatiques. Pour équiper les écoles de façon équitable, il faut rationnaliser les interlocuteurs pour le numérique dans le 1erdegré, militer pour que les enseignants aient un budget pour les outils numériques.
Elodie Maurel, enseignante de français , a inventé l’école d’après :
Elodie a beaucoup aimé le confinement. Tout s’arrête sauf la vie. Le temps de rêver d’une société plus juste, d’une économie respectant les hommes et la planète. Une école qui met la relation au centre et non l’évaluation. Elodie a créé l’école d’après. Une école de la coopération, de la vie en plein air, de l’autonomie, une école centrée sur la planète, la collaboration…
C’est une école hybride : école d’enseignement à distance qui organise des regroupements. Les plans de travail à la maison, l’autocorrection, avec des parents et des enseignants à distance pour aider. Des rituels quotidiens collectifs, des travaux de groupe en ligne. L’après-midi, l’élève de l’école d’après choisit des activités manuelles, fabrique lui-même, expérimente, fait du sport.
Une fois par semaine, les élèves se regroupent dans un lieu pour apprendre : une bibliothèque, un musée, une forêt… Ils font des rencontres avec des commerçants, des artisans, des adultes inspirants. L’école est gratuite cette année, elle est encore expérimentale. Elle est fragile : elle combine et invente, propose, change la vie en famille, la vision de la formation. Elle grandira de ce que chacun a pu y mettre.
François Duport, consultant : Frustration
François Duport a vécu 6 mois de frustration : il a proposé son aide d’expert du numérique au lycée de son fils pour aider à la mise en place de l’enseignement à distance mais n’a eu aucun retour. Son fils non plus n’a pas eu trop de retour de ses profs, 2 classes virtuelles et quelques pdf. François Duport et son fils ont appris l’autonomie et le DIY : appris l’anglais avec Netflix, fabriqué des bacs pour le lombricompost. Ils ont risqué l’overdose de numérique, réunions Zoom, apéros Zoom… Mais François Duport est un idéaliste. Il a voulu organiser une rencontre avec enseignants, élèves, parents pour faire le bilan du confinement. Une centaine de personnes étaient prêtes. Les profs ont refusé par peur de se confronter à une autre réalité. L’école, dit François, c’est la Grande Muette. L’école d’après c’est comme l’école d’avant : c’est le devoir de réserve, la peur de l’innovation, la peur de changer… Une école de l’injonction plutôt qu’une école des compétences.
Aussi François appelle-t-il à une refondation de l’école. Il faut la rendre plus égalitaire, penser à la 2èmevague, penser aux décrocheurs – les profs, dit François – et les former pour l’école d’après. Cette école, il la voit comme un écosystème apprenant, une école ouverte bâtie sur le modèle de la permaculture.
Car si on ne fait rien, François Duport craint l’insurrection ou l’effondrement de l’école. Et nous serons tous coupable de la déliquescence de cette école.
Guy Cirla, président de l’association LUDOVIA :
Il vaut mieux prévoir le changement que changer le pansement (F. Blanche)
Il faut en finir avec le déni : l’école française est mal classée, les enquêtes PISA le confirment régulièrement. La responsabilité est collective : nous n’avons pas su adapter notre école aux changements de société.
Le confinement a permis de faire des constats. Les décrocheurs n’ont pas fait de bruit. Les parents ont constaté que l’investissement des enseignants a été variable et aussi qu’enseigner est difficile. Le numérique a montré son potentiel quand les enseignants sont motivés et équipés. Mais à distance les disparités font que cet enseignement distance n’est pas compatible avec les valeurs républicaines.
Comment faire pour repenser l’école ? L’homme n’a pas envie d’apprendre, l’envie ne vient que de la capacité à y consentir et c’est le cœur du travail des enseignants. Le problème est là : le recrutement des enseignants ne repose pas sur les compétences essentielles de l’enseignants. Il faut repartir de la finalité de l’école, une institution scolaire plutôt qu’un service public ou un marché. Permettons l’avancement des élèves à mi-temps par homogénéité d’âge et à mi-temps par hétérogénéité de compétences dans les matières fondamentales. Proposons une évaluation plurielle : un tutorat, une évaluation des compétences, une évaluation par les pairs… Proposons une école de la liberté : offrons aux élèves et aux enseignants un choix démocratique partiel du contenu de leurs études.
Vive l’école laïque et républicaine.
Jean-Marc Merriaux, Directeur du Numérique pour l’Éducation, grand témoin :
L’amour pour l’école ressort de toutes les présentations même les plus pessimistes. On y sent, partout, la volonté de la rendre plus ouverte et plus accessible. Par contre la question de l’émancipation n’est pas assez apparue, il faut que l’école soit émancipatrice, notamment dans le domaine du numérique. L’enjeu de la collaboration apparaît également. Nous devons apprendre à travailler différemment ensemble.
Nous pensions que la question de la fracture numérique était derrière nous. Aujourd’hui nous savons qu’elle est toujours très présente, à la fois que la question de l’équipement mais aussi sur les compétences numériques, que ce soit pour les élèves, les parents et les enseignants. Mais quel type de numérique voulons-nous utiliser ? Le numérique est outil de transport et c’est cet usage qui a prédominé pendant le confinement. Mais peut-on construire un numérique qui développe les connaissances et le savoir ? Quels outils proposer dans ce cadre ?
Il faut également évoquer la question de la souveraineté de l’école par rapport au numérique, c’est tout l’enjeu de la question des données : il faut réfléchir à la proportion de la donnée, minimiser l’utilisation de la donnée. Il y a également un enjeu de fraternité numérique. Nous en avons besoin. Les openbadges peuvent en être l’occasion. Il faut les penser comme une « reconnaissance » plutôt qu’en terme de « badges ». On doit pouvoir reconnaître en l’autre la capacité à reconnaître. Mais les openbadges ne peuvent pas être l’affaire de l’institution. Il faut plutôt faciliter la reconnaissance des compétences entre pairs.
Les Etats généraux du numérique ont été lancés en juin pour s’emparer de ces questions. Ils vont se décliner localement et permettre de faire remonter des éléments de réponse. Vont-ils en rester au simple constat ou inspirer une nouvelle politique numérique, être un catalyseur ? Il faut construire une vision partagée du numérique dans l’école d’après. Le numérique se pense en proximité et non pas de façon descendante et centralisée par le ministère. Il faut redonner l’initiative aux enseignants plus que parler d’innovation.
Tous les acteurs de l’école sont invités à aller sur le site des états généraux du numérique pour faire des propositions pour l’école d’après.
Synthèse proposée par Caroline Jouneau-Sion