A l’occasion de l’université d’été de Ludovia, 17ème édition, de nombreux enseignants et autres membres de la communauté éducative vont venir présenter leur expérience avec le numérique sur le thème de l’année, « Injonctions numériques : entre techno-enthousiasme et pratiques collectives ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût de ces ateliers jusqu’au début de l’évènement, lundi 24 août.
Clément Périllat présentera « Gamification semi-numérique : entre jeu classique et jeu vidéo, compétition et collaboration, présentiel et distanciel » sur la session I « L’ACCÈS AUX RESSOURCES ET AUX CONTENUS PÉDAGOGIQUES DANS UNE SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE »
Problématique pédagogique
Les langues vivantes, qui ont longtemps été à la pointe des pédagogies audio-orales, semblent aujourd’hui en perte de vitesse en matière d’innovation ludique et numérique, à l’exception notable de certains escape games.On imagine mal, en effet, mettre des élèves, silencieux, face à des écrans pour apprendre une langue étrangère…! Cette problématique vaut cependant pour toutes les disciplines, enclines à l’hégémonie numérique, comme on a pu récemment le constater lors du confinement. Entre expérimentations distancielles hasardeuses et retour incertain en présentiel, les solutions satisfaisantes en matière d’enseignement hybride – et donc facilement transférables en ligne – peinent à émerger en dépit d’une offre pourtant pléthorique.
La gamification semi-numérique propose une alternative en tirant parti des différentes acceptations du mot « jeu » : jeu pour s’amuser, qui sollicite un esprit de compétition, jeu de rôles, qui sollicite un esprit collaboratif, et jeu d’acteur, qui sollicite le geste la voix. Il ne s’agira donc pas nécessairement de se limiter aux jeux sérieux, mais d’en détourner efficacement les codes et les caractéristiques : intrigue, défi, récompense, statut, communauté. Les activités numériques (tels que les serious games, attractifs et puissants, qui valorisent l’expérience utilisateur) se combinent aux apports des jeux plus classiques (tels les jeux de société, qui valorisent les interactions et la collaboration entre élèves). Le jeu de rôle et le jeu d’acteur permettent d’éviter la posture d’élève spectateur (consommateur de médias en ligne, isolé face à son appareil) afin de développer une posture d’élève créateur, en mouvement et en interaction avec les autres. Le rôle d’arbitre ou de jury permet enfin d’exercer une forme originale de citoyenneté.
Pour ce qui est du design des activités proprement dites, on utilisera des plateformes de type Genially(avec les modules S’cape) ou Google Slides(avec le module Pear Deck), voire des applications comme Powerpoint, H5Pou Storyline, plus puissants mais plus coûteux et plus complexes dans leur diffusion. Il s’agira d’une part de maintenir l’attention des élèves par une valeur ajoutée esthétique (images, sons, animations) et, d’autre part, de s’inspirer de la scénarisation des jeux vidéo en automatisant certaines fonctions (choix de différentes embranchements, randomisation, mécanismes de rétroaction, passages de niveaux, implémentation de bonus et récompenses, calcul de scores ou de dégâts, aides contextuelles, tutoriels). Le numérique allège ainsi la concentration de l’élève et laisse la place à la pratique effective.
Le numérique permet enfin d’ouvrir la ludification en distanciel, via des applications de visioconférence de type BBcollaborateou via des applications en ligne de type Geniallydont il conviendra d’optimiser l’expérience utilisateur. Des solutions en ligne toutes faites existent, telles queLearningapps, Quizzlet, Kahoot(qui offre désormais le double avantage du présentiel et du distanciel), ou Quizzinière(ce dernier étant intéressant du point de vue du monitoring), mais sous réserves car conçues du strict point de vue de l’évaluation.
Relation avec le thème de l’édition (injonctions numériques)
En 2012, ma conférence à l’université Galatasaray à Istanbul en Turquie s’intitulait « le jeu de société, se reconnecter au vivant » et témoignait d’une résistance à la dématérialisation croissante, pour revenir à une forme plus classique et collective de ludification. Huit ans plus tard, la crise sanitaire du Covid-19 posait le numérique comme la solution ultime pour assurer la continuité pédagogique, laissant cependant un sentiment d’insatisfaction et d’amertume, la fracture numérique ayant accentué les inégalités sociales, et les routines en distanciel développées à grands frais par les enseignants étant difficilement transférables en présentiel. Il s’agissait donc de trouver des solutions de compromis.
Or, la plupart des applications ludiques en ligne sont désormais standardisées autour d’activités de quiz et de questions-réponses : il s’agit donc d’évaluations déguisées, clivantes et axées principalement sur traitement de l’erreur. Quand elles intègrent une dimension formative, les applications numériques éducatives en ligne prennent la forme de réservoirs à médias (images, textes, vidéos, mini-jeux) et font de l’élève un simple consommateur de contenus parfois anecdotiques. Cette tendance évoque le cours linéaire et magistral à l’ancienne.
Du reste, la culture des écrans à l’école favorise un certain isolement. Cette mise au ban du geste et de la voix est particulièrement nuisible à l’enseignement des langues. Ainsi, utiliser le jeu dans ses diverses acceptations permet de réconcilier l’école de l’intellect avec celle de l’émotion, du corps et du plaisir créatif. Ce dernier doit d’ailleurs être mis à contribution : lors de Ludovia#16, je proposais des pistes pour constituer les dossiers Erasmus+, très insistants sur l’utilisation du numérique, afin que ce dernier ne soit pas qu’une simple figure d’ornement, favorisant à la fois la construction du projet, l’échange linguistique et l’acquisition des fondamentaux.
Au final, le numérique n’est qu’un outil qui reflète ce qu’on en fait, et son injonction laisse transparaître des injonctions plus tenaces : synergie entre élèves, accumulation de savoirs encyclopédiques, développement de compétences numériques professionnalisantes et culture de l’évaluation (qui touche désormais dans toute la société). On y ajoutera aujourd’hui l’injonction nouvelle au distanciel… Il s’agira cependant de se départir de ces tendances en trouvant un compromis didactique satisfaisant pour mobiliser et faire apprendre l’ensemble des élèves.
Synthèse et apport du retour d’usage en classe
Présentation de plusieurs expérimentations menées en collège REP, en classe de langue, en ateliers de soutien (English n’ Games) ainsi que dans le cadre d’un projet Erasmus+. Ces expérimentations s’appuient sur divers processus à l’œuvre dans la gamification et proposent des alternatives en distanciel.
- Mise en place des routines de cours s’appuyant sur la gamification : comprendre et mémoriser par le jeu.
- Présentation d’applications sous forme de jeux composites : entre le jeu de société et le jeu vidéo, pour pratiquer efficacement les langues vivantes en classe.
- Monter un projet numérique créatif et collaboratif : faire endosser un rôle précis à l’élève en vue d’une évaluation p
Apport du numérique
Le duo vidéoprojecteur-tablette (ou TBI-tablette) associe la dimension collective et normative de la classe à une expérience utilisateur plus individuelle. Le vidéoprojecteur, qui sert par exemple à afficher les écrans de jeu et à impliquer un maximum de participants, vient en complément de la tablette, qui permet de différencier les rôles et les objectifs, voire d’accéder à des aides spécifiques. Cette solution permet de réduire un matériel pédagogique qui peut être contraignant.
La tablette, en bon couteau-suisse numérique, permet également la création de contenus (tournage et montage de vidéos, avec Moviemakerou Luma Touch) mais aussi la diffusion et le travail collaboratif via des plateformes de type Padletou Google docs, où chacun à un rôle bien défini à remplir.
Plus d’infos sur : Clément Périllat
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