A l’occasion de l’université d’été de Ludovia, 17ème édition, de nombreux enseignants et autres membres de la communauté éducative vont venir présenter leur expérience avec le numérique sur le thème de l’année, « Injonctions numériques : entre techno-enthousiasme et pratiques collectives ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût de ces ateliers jusqu’au début de l’évènement, lundi 24 août.
Caroline Jouneau-Sion présentera « Co-concevoir une histoire dont vous êtes les hero.ïnes : une façon de se former pour redynamiser un enseignement inclusif » sur la session III « ENSEIGNER ET SE FORMER AU XXIÈME SIÈCLE » .
PROBLÉMATIQUE PÉDAGOGIQUE :
Le confinement a accentué les difficultés de notre métier : rester suffisamment impliqué dans son travail pour concevoir des scenarios d’apprentissage motivants, efficaces en termes d’apprentissages, pour tous les élèves. Dans une classe en effet, il faut créer des dispositifs d’apprentissage qui suscitent l’envie d’apprendre chez nos élèves quel que soit leur profil d’apprenant : les élèves scolaires ou les élèves plus autonomes, les élèves bons lecteurs ou ceux qui le sont moins, les élèves observateurs et ceux qui peinent à se concentrer. Cela nécessite de la créativité, une bonne maîtrise des connaissances et de la didactique de sa discipline, des savoir-faire techniques, autant de compétences qui nécessitent de la formation…et une bonne motivation !
Or, le confinement nous a éloigné.e.s de notre source de motivation (nos élèves, nos collègues), a supprimé les formations auxquelles nous étions inscrit.e.s, et a rendu plus rares les interactions qui nous permettent de nous auto-évaluer et de nous encourager à faire mieux. Le confinement a également renforcé les inégalités entre les environnements familiaux et numériques des uns et des autres. L’activité que je vais présenter tente de répondre à ces deux aspects : comment la co-conception d’une activité pédagogique numérique permet-elle de remobiliser des enseignants dans un travail collaboratif exigeant ? En quoi cette collaboration permet-elle de créer une activité qui prend en compte une grande partie des inégalités pour remobiliser les élèves dans un travail d’histoire ?
APPORT DU NUMÉRIQUE :
Pour concevoir nos jeux dont vous êtes les héro.ïne.s, nous avons utilisé 3 types d’outils numériques : pour la conception, le logiciel Twine, utilisé pour réaliser le jeu, est un outil gratuit et libre. Il permet relativement facilement, pour les fonctions simples, de concevoir un récit interactif car il génère très simplement l’arborescence de l’histoire. Le logiciel Audacity a permis de réaliser les montages sonores. D’autres outils ont été utilisés pour la collaboration : Twitter pour discuter, Framapad pour écrire l’histoire, Google docs pour la relecture, Google drive pour échanger les fichiers.
Chacun de ces outils a une fonctionnalité spécifique. Framapad est très fonctionnel pour une écriture simultanée à plusieurs mains, mais les commentaires de Google docs permettent d’intervenir sans effacer le travail des autres. Pour le partage des fiches pédagogiques enfin, nous avons utilisé un espace dédié pour les enseignants, Tribu. Intitulé « espace collaboratif », il permet surtout de déposer et mettre à disposition des fichiers, autant les nôtres que, espérons-le, ceux conçus par d’autres collègues. Côté technique, il a fallu remobiliser un peu de code html et un peu de code propre à Twine, grâce à la technique du « copié-collé de tutos sur internet ». Une bonne formation !
RELATION AVEC LE THEME DE L’EDITION :
La période du confinement a rendu plus nécessaire encore la présence d’outils numérique dans notre enseignement à la fois pour les enseignants mais aussi pour les élèves et leurs parents. Mettre à disposition le travail, proposer des activités motivantes lorsque le travail est réalisé tout seul, trouver les idées de ces activités à la fois variées et efficaces en termes d’apprentissage. Mais il faut aussi continuer à penser à l’égalité face à l’éducation : faire en sorte que tous les élèves aient accès à l’activité, quel que soit le terminal numérique dont ils disposent, quelle que soit leur aptitude ou leur appétence vis-à-vis de la lecture. Bref, permettre à tous de s’enthousiasmer pour le travail scolaire.
SYNTHÈSE ET APPORT DU RETOUR D’USAGE EN CLASSE :
Notre groupe interacadémique d’enseignants d’histoire géographie a produit 2 jeux / histoires interactives. Je vais me concentrer sur l’histoire intitulée « Un procès à Athènes » destinée à des élèves de 6eme. Je l’ai utilisée avec mes 3 classes de sixième durant la 9ème semaine du confinement. Il a été aussi largement diffusé par d’autres enseignants à leurs élèves. J’ai demandé aux élèves de jouer au jeu, puis de répondre à un quizz autocorrectif, puis de compléter deux cartes mentales sur la citoyenneté des hommes et des femmes athéniens de l’antiquité.
Cette activité autour du jeu dont vous êtes les héro.ïne.s « un procès à Athènes » a donné du plaisir aux élèves. Le livre d’or qui est à la fin du jeu ne comporte qu’un seul message négatif au milieu de plus d’une centaine de messages enthousiastes. Certains de mes élèves n’ayant pas du tout travaillé l’histoire-géo depuis le début du confinement se sont remis au travail. « Je me suis bien amuser sa ma aidée réfléchir pour la première fois » dit Hidaya dans le livre d’or. Des apprentissages ont été réalisés : « Grace à ce jeu, j’ai appris les qualités requises pour être un citoyen, et dans l’amusement » dit Sixt. Le jeu a en effet un objectif (caché, pour les élèves) d’apprentissage. Il contient des éléments de connaissances du programme d’histoire. Ces éléments de connaissance sont nécessaires pour réussir le jeu, ils sont répétés dans plusieurs activités au sein du jeu. Le QCM après le jeu permet de réactiver ces informations, de les identifier comme éléments importants au sein du jeu. Il a été plutôt réussi, signe que le jeu est efficace en termes d’apprentissage. Avec la carte mentale, on institutionnalise ces éléments de connaissance, on les classe, on les nomme, ce qui est nécessaire pour un apprentissage profond, qui permet une réutilisation de ces connaissances dans un autre contexte.
L’autre aspect de la conception de ce jeu, ce sont les bienfaits de la co-conception dans un contexte d’isolement social et professionnel, de changement profond dans notre pratique du métier lié au confinement. Loin de mes élèves, sans réelle directive, face à des élèves parfois peu motivés, débordée par les technologies numériques nécessaires à la continuité pédagogique, je perdais moi-même la motivation. La conception de ces jeux a créé un collectif de 7 enseignants de 5 académies différentes. Outre que la motivation est revenue, le collectif a amélioré la qualité du travail : il est devenu inclusif grâce à la lecture audio après une remarque sur les élèves non lecteurs. Il est devenu immersif grâce aux compétences de l’un d’entre nous en manipulation de sons. Il est devenu plus approfondi et exact sur le plan historique suite à nos questionnements des uns et des autres sur les détails les plus infimes, nécessitant une recherche dans les articles scientifiques. Les moqueries sur Twitter d’un groupe d’enseignants en LCA (Langues et cultures de l’antiquité) nous ont permis d’améliorer également l’un des mini jeu. Nous avons également partagé les savoir-faire en codage, en montage sonore, en conception de QCM avec Tactiléo. Les fiches d’activités se sont améliorées des remarques des uns et des autres.
ATELIER ET RETOUR D’EXPERIENCE :
Dans cet atelier, je propose de montrer une séance d’apprentissage qui surmonte les disparités entre les élèves en termes de capacité de lecture et de compréhension mais aussi en termes de maîtrise des outils numériques. Cette séance comporte un jeu, dont j’expliquerai quels éléments permettent l’apprentissage (scenario, mécaniques de jeu, etc.) et deux activités d’exploitation (un QCM et une fiche avec des cartes mentales). J’expliquerai également comment les supports sont pensés pour s’adapter à l’environnement numérique de chaque élève et à son profil d’apprenant. Je présenterai notamment rapidement l’outil Twine, un outil de conception d’histoires interactives qui se lit sur smartphone, tablette ou ordinateur même ancien.
J’expliquerai également la méthode de co-conception de ce jeu. Notre groupe interacadémique de concepteurs de ces jeux regroupe 7 enseignants d’histoire et de géographie de 5 académies différentes, rencontré.e.s sur Twitter : Laurent Fillion et Sébastien Lambert de l’académie de Lille, Maryse Pisano-Bollaert et Christine Galopeau de Almeida de l’académie de Reims, Géraldine Duboz de l’académie de Besançon, Emilie Kochert de l’académie de Versailles, et moi-même de l’académie de Lyon. Un premier jeu, conçu en février, avait permis de mettre en place une organisation et une méthode de travail collaboratif autour de Twine. Depuis la conception du scenario, l’écriture de l’histoire, la recherche documentaire, la réalisation des interactions dans Twine, l’habillage sonore, la lecture, le test, la conception des activités exploitant le jeu, nous avons développé une méthode qui s’appuie sur des outils spécifiques mais simples d’utilisation (relativement, pour Twine). Cette méthode nous a permis de développer nos compétences techniques, pédagogiques et didactiques au service d’un enseignement et d’un apprentissage qui s’adapte à tous les enseignants et à tous les élèves, quel que soit leur niveau de maîtrise des outils numériques.
Plus d’infos sur : Caroline Jouneau-Sion
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