Dans le contexte de déconfinement progressif lié à la pandémie relative au COVID-19, ce texte continue la série de réflexions partagées du groupe #Psyetprof pour penser les difficultés dans la durée et les franchir ensemble autour d’une organisation résiliente et endurante.
Reprendre le chemin de l’école et prochainement du collège, que ce soit pour les professeurs ou les élèves ne peut se penser sans émotion, appréhension et envie. Il ne s’agit pas d’un retour à la vie scolaire d’avant le confinement, les gestes barrières, le port du masque, l’absence de beaucoup d’élèves donnent à ces retrouvailles une nuance inédite. Pour les parents des élèves en situation de handicap, c’est aussi un soulagement, la reprise d’une certaine normalité mais aussi un peu d’anxiété. L’AESH (AVS) sera-t-elle bien à l’école ? Faudra-t-il à nouveau lutter contre un système parfois peu accueillant pour les élèves différents ?
Le mot crise selon l’étymologie grecque renvoie à deux sens possibles : l’idée de “danger” mais également l’idée “d’opportunité”. Le groupe #psyetprof[1] tenait pour ces temps de reprise à proposer quelques pistes de réflexions positives pour faire de cette crise, une potentielle opportunité pédagogique et une mise en perspective de la valeur transférentielle[2] et contenante du métier d’enseignant.
Le métier de professeur est fondamentalement un métier de la relation. Les élèves, de leur plus jeune âge à l’adolescence, entretiennent vis à vis de leur “maîtresse”, de leur professeur une relation affective teintée de toutes les nuances possibles.
Nous observons chaque jour de classe combien l’appropriation des savoirs est facilitée quand elle peut s’appuyer sur une relation transférentielle positive de l’élève au professeur.
Dans ce retour à la vie scolaire, les contraintes imposées par l’éventuelle présence du virus suppose un respect et une adhésion encore plus strictes à des règles de vie en communauté. L’acceptation de ces dernières suppose un renoncement partiel à une forme de liberté et d’expression pulsionnelle, et ne peut se soutenir dans la durée que par une adhésion volontaire à la parole de la figure garante du cadre.
Les élèves qui “perturbent”[3] l’école, en particulier les élèves qui, du fait de leur handicap, présentent des troubles de la conduite et du comportement, sauront-ils se plier à ce nouveau cadre sanitaire, très contraignant, alors même qu’ils n’ont plus connu un mode de vie collectif depuis deux longs mois ? Le nombre d’élèves dans la classe, historiquement bas, permettra sans doute aux enseignants de scolariser avec empathie, ces élèves qui demandent une attention parfois très intense voire épuisante.
Dans le contexte de pandémie et celui désormais de la gestion du déconfinement progressif, le professeur se doit de maintenir une posture éducative stricte afin de préserver la sécurité de chacun tout en conservant une relation bienveillante voire chaleureuse pour accueillir les enfants et gagner leur adhésion à ce nouveau mode de vivre ensemble.
Le plaisir de se retrouver risque donc de se vivre sur des modalités longtemps inconfortables pour tous, pour l’élève qui devra renoncer à de nombreuses libertés, pour l’adulte qui devra redoubler de vigilance et d’autorité pour imposer à l’enfant ce renoncement à sa spontanéité.
Pourtant, nous pensons, en s’inspirant du magnifique film de Robert Benigni “ La vie est belle” que la mission principale des professeurs dans l’accueil de leurs élèves sera de rendre cette reprise de la vie scolaire la plus belle possible.
Plus encore, nous pensons que les professeurs ont en eux, par leur expérience et leur vécu, des ressources et des compétences acquises et intuitives dans la relation à l’enfant à l’image de ce clip musical réalisé par des professeurs de collèges.
Une des compétences indissociables du métier de professeur et parfois méconnue est la capacité de contenance et d’ajustement face aux mouvements émotionnels des enfants .
Si la posture professionnelle de l’enseignant est trop parasitée par une ambivalence entre la raison et l’anxiété bien compréhensible sa capacité de contenance en sera fragilisée. Aussi nous invitons chaque enseignant à retrouver et à renforcer son sentiment de légitimité car dans la traversée de cette crise l’enseignant représente pour l’enfant une figure rassurante et savante essentielle dans cette période de grande incertitude.
Prendre le temps de partager, au cours de ce déconfinement progressif, les différents questionnements, les émotions en s’appuyant sur la fonction groupale décrite dans la précédente chronique[4] va participer à la restauration de ce sentiment de légitimité. Inviter l’adulte puis l’enfant à mettre en mots ses émotions permettra à chacun “ d’exprimer l’affect pour ne pas qu’il s’imprime” pour citer Jean-François Laurent[5]. L’enseignant doit pouvoir exprimer ses incertitudes et inquiétudes avec ses collègues ou/et avec le psychologue de l’Éducation nationale afin de restaurer une posture contenante et accompagner l’enfant ensuite dans l’expression de ses sentiments.
Dans la communication verbale avec les enfants, l’intelligence pédagogique des enseignants permettra de privilégier des messages clairs et précis dénués de toutes connotations offensives ou relevant du champ lexical militaire qui pourraient majorer l’anxiété des enfants (gestes barrières,brigades de dépistage).
On privilégiera par exemple le terme de distanciation physique à celui de distanciation sociale qui supposerait que la relation est dangereuse alors que nous soutenons qu’elle est porteuse et nécessaire à chacun, autant à l’adulte qu’à l’enfant.
De la même manière, le terme de gestes de protection semble moins anxiogène que celui de gestes barrières. Ces derniers seront sans doute plus faciles à apprendre dans un cadre scolaire qui adapte la situation d’apprentissage au niveau de l’élève. Penser une situation pédagogique, créer un lexique adapté à l’âge des élèves pour rendre accessible une compréhension est une des compétences précieuses et spécifiques au monde pédagogique.
Pour l’enseignant engagé depuis plusieurs semaines à revisiter sa pratique avec le numérique, cette nouvelle configuration scolaire peut permettre une prise en compte plus personnalisée des élèves du fait du faible effectif. La classe présente une forme plus épurée, des objets ont disparu mais de nouvelles situations interactives d’enseignement peuvent être investies avec une place plus importante accordée aux interactions langagières. Pendant un temps long, la pratique pédagogique sera davantage dans le dire que dans le faire, dans la parole que dans l’action.
Ceci est d’autant plus indispensable que les masques de protection conseillés mais non obligatoires, vont complexifier les échanges : difficile d’interpréter toutes les nuances d’un discours, alors même que le visage est en partie caché.
La compréhension même de la voix sera entravée, les masques atténuant les sons. Prendre du temps à dialoguer est alors d’autant plus important. Gageons aussi que les masques, vont rapidement devenir des éléments de mode, d’identité.
Pour certains élèves le masque peut aussi être une opportunité pour communiquer davantage ! En partie caché l’élève peut s’autoriser à parler davantage au sein d’un groupe de taille plus réduite.
Une occasion de conserver ou de partager des traces audio avec d’autres camarades d’un autre groupe et de profiter de cette alternance pour co-construire des situations ludiques ou le plaisir d’écouter, de réagir en relation avec un autre groupe donne une occasion nouvelle de rendre plus motivant et signifiant l’apprentissage[6].
Associer les enfants absents à ces retrouvailles[7] participera à recréer une identité de classe et préservera la dimension amicale et sociale du vécu scolaire des enfants. Nul doute que ce format sera exploité dans de nombreuses classes pour favoriser l’implication du plus grand nombre et créer du lien entre les élèves.
Les contacts physiques sont proscrits, l’adulte offre par sa voix[8], sa présence, son regard, un holding[9] apaisant pour l’enfant dans son retour à l’école. De la même manière l’approche de Piskler Loczy[10] favorise le développement et l’autonomie du tout jeune enfant par la voix, le rôle de l’enseignant n’est pas diminué par l’absence de contact physique.
L’expérience des cellules de crise nous apprend combien les professeurs sont capables de mobiliser des ressources psychiques dans des situations potentiellement traumatisantes, souvent bien au-delà de ce qu’ils pensaient être en mesure de faire. Nous ne doutons pas qu’au moment opportun, les équipes enseignantes retrouveront leur capacité à accompagner sereinement les élèves en mobilisant leur fonction contenante et leur capacité à accompagner un enfant.
Aujourd’hui, l’étymologie grecque du mot pédagogue[11] reprend tout son sens : être celui chargé de conduire l’enfant à l’école et de le protéger des dangers de la rue. Face à cette situation inédite, le corps enseignant mobilise avec force, que ce soit en présentiel ou en distanciel avec le numérique, une fonction contenante bienveillante et stable, pour permettre aux élèves de traverser cette période de vie si complexe et anxiogène. Le métier d’enseignant contient en lui, depuis toujours, la mission essentielle d’accompagner et de guider les enfants dans leur chemin de vie vers une autonomie, une adaptation et une participation à la société y compris en période de crise.
Auteurs : Claire Anatole, Linda Konieczny, Frédérique Menot Davant, psychologues de l’Éducation nationale – Académie de Créteil
Malika Alouani, Axel Jean, Valérie Marcon, Patrice Renaud – Direction du numérique pour l’Éducation
Notes :
[1] https://www.ludomag.com/tag/psyetprof/
[2] Le transfert en psychanalyse désigne un processus au cours duquel des sentiments ou des désirs inconscients envers les premiers objets investis dans l’histoire d’un sujet — le plus souvent les parents —, se trouvent reportés sur une autre personne. https://fr.wikipedia.org/wiki/Transfert_(psychanalyse)
[3] Ces enfants qui perturbent : vers une école prévenante. La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation 2007/4 (N° 40)
[4] https://www.ludomag.com/2020/05/07/psyprof-5eme-episode-la-fonction-groupale-a-lecole-preservee-et-reinventee-pendant-le-confinement-a-travers-le-numerique/
[5] https://delecolealamaison.ageem.org/la-tristesse/
[6] En suivant Freinet, l’activité gagne du sens pour l’élève puisqu’il y a réellement un émetteur et un récepteur des productions orales ou écrites contrairement à certaines activités ayant pour seul destinataire l’enseignant.
[7] https://www.ludomag.com/2020/05/07/psyprof-5eme-episode-la-fonction-groupale-a-lecole-preservee-et-reinventee-pendant-le-confinement-a-travers-le-numerique/
[8] https://www.ludomag.com/2020/04/29/psyetprof-episode-4-comment-les-solutions-numeriques-permettent-la-preservation-du-lien-scolaire/
[9] Le Holding correspond au soutien, à l’accompagnement que la mère, l’adulte, le professeur apportent à l’enfant pour le sécuriser. D. Winnicott La famille suffisamment bonne, Payot, 2010
[10] http://pikler.fr/Annexes/Emmi_Pikler_Loczy
[11] https://www.meirieu.com/COURS/L3/textes_cours1.pdf