Durant cette période de confinement, pour contrer l’isolement, il n’a jamais été autant question d’être ensemble, que ce soit dans la poursuite des liens engagés que dans la nécessité d’en créer de nouveaux.
Les enseignants ont eu à inventer un autre rapport à la classe, une classe virtuelle, où l’adresse au groupe est collective mais la relation s’individualise davantage, devient une relation maître-élève singulière. L’enseignant, pense à l’enfant dans une préoccupation quasi maternelle primaire activée par la situation de séparation et de danger potentiel : pourquoi n’a-t-il pas répondu, comment va-t-il…
Mais, à travers la relation réinventée et via le média des apprentissages à mener, l’enseignant devient le garant du maintien du groupe, de sa cohésion, de son existence psychique. Il pense au groupe classe et à l’élève à la fois.
Cette situation inédite de crise sanitaire produit un sentiment de mise à égalité à travers le monde : nous faisons partie d’une même communauté et sommes tous égaux devant le virus. La population fait face à un danger important et chacun se trouve confronté de manière aiguë à l’imprévisibilité du contexte.
Dans une lutte (ré)active contre l’effondrement, l’isolement, chacun puise des ressources en lui-même, fait appel à ses groupes internes familiaux, mais également se tourne vers l’extérieur en s’appuyant sur des enveloppes groupales externes contenantes, groupe d’appartenance social, professionnel.
Nous voyons se développer depuis le début du confinement des initiatives familiales, locales ou encore à l’échelle d’un pays (comme « se retrouver » à 20h aux fenêtres pour applaudir les soignants), ou bien produire une chanson telle un cadavre exquis[1] , faire de la musique aux balcons, inventer un clip. Autant de créativité mise en œuvre où l’apport de chacun contribue à un édifice commun. Procédant de la même intention, les enseignants créent des tâches collectives où la contribution de chaque élève produit une œuvre commune.
Le projet de “la grande lessive”[2] qui s’est adressé cette année à l’intention du corps médical en est une bonne illustration.
L’espace numérique occupe une place prépondérante dans ces nouveaux modes de vie de classe et devient alors le média indispensable, l’espace transitionnel[3], rendant possible la rencontre vers les autres. Va-et-vient entre le « je » et le « nous », il s’agit de puiser des forces auprès d’un groupe d’amis, de travail, en acceptant de laisser un peu de « soi » pour trouver réconfort dans le « nous ».
Le groupe – via le numérique- aide à traverser les moments difficiles, permet de prendre appui sur l’autre, de se ressourcer en partageant un but commun, une idée, une tâche.
Les initiatives se déploient avec créativité, on se donne rendez-vous grâce à de nouvelles solutions numériques. Pour continuer à être ensemble, on apprivoise de nouvelles technologies, on développe de nouvelles compétences, poussé par le besoin de se retrouver et de mettre du sens dans ce qui arrive pour traverser cette épreuve ensemble. Les rendez-vous virtuels via l’ENT, les groupes de travails à travers des visio ou audio-conférences, se sont multipliés pour faire perdurer, enrichir le lien – celui qui attache, qui relie, porteur d’une vie qui continue malgré tout
Le groupe comme levier d’apprentissage
Le lien social indispensable à tout individu est également un levier pour apprendre et engager l’élève à investir des tâches parfois éloignées de ses centres d’intérêts mais qui prennent sens à travers la dynamique d’un groupe et le rôle majeur que tient le professeur.
Acteur, animateur de savoirs il conduit les intentions, les oriente en prenant appui sur certains élèves pour engager des apprentissages et cibler son action pour accrocher les plus distants. Le pair à pair tient une place conséquente et remobilise certains élèves grâce aux liens affectifs et aux interactions de proximité. Ces temps d’échanges, de langage, d’imitation, de coopération ou de rivalité font partie des comportements sociaux qui participent à l’acquisition de savoirs, savoirs être et compétences.
Reconstruire un espace commun pour retrouver une partie de ces comportements est un enjeu pour maintenir un engagement à se sentir apprenant dans un groupe et à conserver une posture d’élève.
Les classes virtuelles, animées avec des interactions entre élèves et le professeur représentent ainsi des espaces d’expression d’appartenance à un collectif et de resocialisation de l’élève apprenant. Pour cela, les occasions les plus efficientes sont celles qui privilégient des petits groupes. Benedicte Assogna[4], enseignante en CM2, a fait le choix de ritualiser des animations de classe virtuelle en petit groupe. En prenant en compte les situations de chaque famille ; elle a pris la précaution de construire une proximité de travail et d’organiser des classes virtuelles à 6 élèves. Ces temps réguliers ont permis d’entretenir une communication orale régulière entre les élèves et avec le professeur[5]. Les liens sociaux affectifs ont ainsi été préservés, ils ont participé au plaisir d’apprendre et de se retrouver ensemble.
Ces stratégies pédagogiques peuvent également se poursuivre avec des binômes d’élèves à qui l’on propose une production commune. L’objectif est alors de conserver des interactions et de maintenir une dynamique d’apprentissage entre pairs.
Des conseils pour entretenir les liens dans un groupe
Recréer des temps de vie en grand groupe pour partager une émotion, un récit, un anniversaire…à l’aide d’une courte classe virtuelle programmée permet de conserver un temps collectif profitable à tous. L’annonce de l’objectif de la rencontre virtuelle et sa durée rend l’implication des élèves encore plus active.
Les classes virtuelles en petit groupe peuvent se vivre avec des temps de parole entre élèves suffisants pour dynamiser les interactions et entretenir un lien social et une posture d’élève. Les rituels de langage en début de rencontre virtuelle installent la parole de chacun dans le groupe et configurent ainsi un collectif qui se recrée.
Les projets artistiques collectifs signifiants représentant des objectifs communs mobilisent un plaisir et une énergie individuelle favorables à l’appartenance à un collectif.[6] Une équipe de formateurs du réseau de L’AEFE a lancé un projet interactif à destination des élèves avec la participation d’un auteur jeunesse. Les défis très simples proposés par l’auteur Christian Voltz[7] permettaient à chaque élève dans chaque famille de contribuer en laissant s’exprimer leur créativité. Les productions plastiques réalisées à la manière de l’auteur créaient le point de cohésion d’un groupe qui sur un temps d’activités se rassemble pour créer une unité sociale, un commun créatif autour d’une démarche collaborative partagée.
Les situations ludiques ou la production relève d’un jeu collectif, d’un défi avec des équipes identifiées sont également des moyens de conserver cet esprit d’appartenance et une relation à l’autre. Elles génèrent des émotions fortes et renforcent le plaisir d’être ensemble.
Importance de la dynamique groupale au retour dans les établissements scolaires
Avec l’annonce de la réouverture des établissements scolaires, penser le groupe revêt une autre tonalité. Cette annonce suscite de nombreux remous et réactions, réactive des questionnements et des incertitudes, re-convoque des affects. Elle permet cependant d’avancer, d’imaginer une fin de crise possible et de se projeter.
Pour l’école, comme pour tous, prendre le temps de se retrouver sera un objectif incontournable – que ce soit de manière institutionnalisée ou informelle – avant d’imaginer passer à autre chose.
Quels que soient le climat scolaire antérieur et la dynamique des équipes enseignantes préexistantes, le premier élan de chacun sera de “s’agréger à distance” afin de poser des mots sur cette longue absence.
En fonction du vécu des professeurs face à la maladie mais également de leurs actions professionnelles durant le confinement, des réaménagements au sein du groupe vont s’opérer. Comment faire naître de la cohérence alors que le groupe est perçu potentiellement dangereux, qu’il a été séparé de façon brutale, morcelé, avec des prises de fonctions différentes, qui peuvent engendrer une culpabilité pour ceux qui n’ont pu être en présentiel ? Laisser à chacun le temps nécessaire de se retrouver dans un climat bienveillant favorisera une reconstitution de la cohérence institutionnelle de l’établissement.
Pour les enfants aussi, ce temps de nécessaires “retrouvailles” est un passage important pour se ré-accorder à l’autre, à son groupe, à ses pairs, à son professeur. Faire l’économie de ce moment peut avoir un retentissement négatif conséquent pour la vie future du groupe classe et potentiellement pour certains élèves. Il est essentiel d’accompagner les enfants vers une mise en mot bienveillante de leur vécu pour éviter une dégradation du climat scolaire.
Prendre le temps de convoquer une mise en récit de ce temps de confinement participe à une nécessaire articulation du réel avec l’imaginaire et le symbolique[8].
Pouvoir mettre en mots ce que chacun a vécu à son niveau, via un récit, un dessin, dans un acte intime ou partagé – mais toujours volontaire – permet une mise à distance et la création de souvenirs.
Le sentiment d’affiliation éprouvé à travers cette menace véhiculée par le virus, le partage d’expériences singulières recréent la cohésion du groupe avec une réassurance de chacun. L’opportunité proposée de verbaliser dans la sécurité affective d’un groupe de pairs mené par des psychologues offre la possibilité de déposer plaintes, angoisses, questions ; de se rapprocher et de symboliser ce qui était diffus, impensé, potentiellement traumatisant.
Mettre en place des actes symboliques à l’école, invoquer l’imaginaire au travers de la créativité adoucit la violence du réel et soutiendra également de cette possibilité de se ré-accorder. Par la force des choses, le groupe classe initial sera incomplet et il semble indispensable de construire et reconstruire les liens entre chaque élève, en intégrant les enfants absents. Pour cela les outils numériques seront des médias précieux dont il faudra s’emparer avec par exemple des temps de visio-conférence entre la classe et les enfants absents.
La situation scolaire est fondamentalement une situation groupale qui grâce au numérique a perduré durant la fermeture des établissements scolaires.
Parfois le numérique n’est perçu que par la possibilité de faire, de substituer, de prolonger des pratiques déjà connues et souvent relevant de tâches individuelles ; la situation traversée du confinement et du déconfinement progressif révèle toute l’importance de préserver le groupe pour continuer via les échanges à partager, à construire, à préparer des chemins, et entretenir un lien social.
Frédérique Menot Davant, Psychologue de l’Education Nationale – Académie de Créteil
Malika Alouani, experte premier degré, Direction du numérique pour l’Éducation
[1] Chanson collective : https://www.facebook.com/groups/343429043265330/videos/
[2] https://www.lagrandelessive.net/participer/pistes-de-travail/
[3] D.W. Winnicott, « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels », dans Jeu et réalité
[4] http://www.dane.ac-versailles.fr/s-inspirer-temoigner/des-choix-des-precautions-et-une-organisation-qui-fonctionne
[5] https://www.ludomag.com/2020/04/29/psyetprof-episode-4-comment-les-solutions-numeriques-permettent-la-preservation-du-lien-scolaire
[6] https://padlet-uploads.storage.googleapis.com/321167669/445b95c22500fdc10c6dca9e68a1d6c1/DEFI_FLEURS_1.pdf
[7] https://primabord.eduscol.education.fr/creer-a-la-maniere-de-christian-voltz
[8] https://www.causefreudienne.net/imaginaire-symbolique-et-reel-chez-lacan/
Aux jeunes, il faut proposer que la vie, comme l’école, est autre chose que sa canalisation mortifère par la fiction du virtuel et du numérique et qu’il y a un corps et ses sens, un esprit et son âme, un coeur et ses émotions à offrir en partage, au-delà des claviers et de la distance câblée qui mécanisent tout ce que l’humain a de plus grand dans son meilleur devenir.