Dans le contexte de confinement lié à la pandémie relative au COVID-19, ce court texte s’inscrit dans une série de réflexions partagées en construction pour penser les difficultés dans la durée et les franchir ensemble autour d’une organisation résiliente et endurante.
A l’annonce de la fermeture des établissements scolaires nous avons pu constater, chez certains adolescents, des réactions de soulagement associées, dans un premier temps, à une libération des tâches scolaires, une pause inattendue et appréciée. Chez l’enfant plus jeune pour qui l’école est un lieu de découverte, de jeu et d’apprentissages multiples, les réactions ont été plus ambivalentes.
Pour un grand nombre de jeunes élèves, aller à l’école est un véritable plaisir. La vie à l’école et la vie en dehors de l’école sont très souvent dissociées chez les plus jeunes, ils ont très peu de contact avec leurs camarades. Les adolescents conservent leurs liens sociaux via les réseaux, ce n’est pas toujours le cas des plus jeunes, bien que nous observions une pratique des jeux vidéos (on pensera en particulier aux jeux coopératifs type Minecraft) de plus en plus précoces.
Les échanges entre adolescents se font avec un recours privilégié à l’image, qui n’est pas sans évoquer la problématique identitaire importante à cet âge. Chez le jeune enfant nous observons plus un recours aux échanges audio sur des supports ludiques où leur identité est masquée derrière un avatar. Ils vivent pleinement leur journée et ne l’évoquent que très peu à la maison. A présent, le confinement suppose de faire l’école à la maison, le professeur m’envoie les leçons mais où est-il, je ne peux pas le voir.
Où sont mes amis, avec lesquels j’appréciais tant de jouer, de discuter, d’apprendre ?
Autant de questions pour les jeunes enfants qui s’interrogent, ils s’imaginent des réponses et peuvent être insécurisés dans cette situation et soudainement se retrouver sans leur enseignant pour réaliser une tâche scolaire.
Par la force des choses, de nombreux enseignants sont entrés dans l’univers numérique, un univers parfois opaque pour certains, plus familier pour d’autres. La mise en place de la continuité pédagogique amène des idées numériques et des pratiques numériques parfois simples pour continuer à apprendre sans aller à l’école, sans être en face à face…
Pour les élèves en situation de handicap, et leurs parents, aller à l’École, comme tous les autres enfants, est aussi un signe de normalité. Pourquoi ne vais-je plus à l’École ? Où est mon auxiliaire de vie scolaire (AVS)/ mon accompagnant ou accompagnante de vie scolaire (AESH) si attentif ou attentive à mes besoins ? Pour les enseignants de ces élèves différents comment prendre en charge leurs besoins éducatifs particuliers à distance, avec quel rythme et selon quelles modalités ? Comment impliquer l’AESH ?
Dès les premiers jours de confinement, des transpositions d’exercices scolaires pour mettre en oeuvre la continuité pédagogique ont vu et voient encore le jour. Sans toujours se rendre compte de la portée positive et psychologique de leurs actions, les enseignants se demandent s’ils s’y prennent bien, si ce n’est pas trop exagéré, s’ils ne sont pas ridicules, comment cela va-t-il être accueilli dans les familles? Ils cherchent et expérimentent d’autres modes de communication. Les enfants se questionnent, les enseignants aussi et c’est bien normal.
La situation inédite engage des réponses inédites.
Parmi les nombreuses idées innovantes, nous allons nous intéresser à deux situations proposées par des professeurs, la première en école élémentaire dans cet exercice emblématique qu’est la dictée; la seconde dans une situation d’anniversaire en maternelle.
Comment faire une dictée homogène pour tous, dictée au même rythme. D’abord la professeure a pensé envoyer la liste de mots aux parents mais finalement elle a osé enregistrer sa propre voix pour l’offrir aux enfants. Une dictée enregistrée par la maîtresse puis envoyée en fichier audio à une classe de CE2, voilà une modalité pédagogique très intéressante enrichie d’un potentiel psychoaffectif insoupçonné.
En effet, le langage est le principal moyen de communication des idées et des émotions entre les individus, instrument d’élaboration de la pensée, la voix transporte le langage.
Dans cet exemple, du point de vue psychologique, transférer l’objet “voix” via le numérique permet à l’enfant de retrouver la sensation auditive de la classe, la voix familière et rassurante de son enseignant.
La chaleur humaine de la voix accompagne l’enfant, comme la voix maternelle guide le nourrisson, celle de l’enseignant continue de le guider dans ces circonstances exceptionnelles. La voix familière de son enseignant est un objet auditif de l’environnement quotidien de l’écolier, exerçant ici la fonction de holding telle que la définit Winnicott[1]. Elle a une place prépondérante, occupe l’espace sonore et comble ici le vide généré par la situation. La voix absente redevient présente à l’image d’un objet transitionnel qui symboliquement représente-incarne le temps scolaire à la maison.
D’un point de vue pédagogique la dictée est facilitée car l’enfant se retrouve vraiment en posture d’élève un peu comme à l’école par le rythme des mots, l’intonation, les petites astuces orthographiques que la maîtresse indique çà et là. Inconsciemment, cela distille une autre dimension « je reconnais sa voix, ma maîtresse va bien, je connais cette activité de dictée, tout va bien ». Notre voix dit beaucoup de nous-même, de notre état émotionnel; elle véhicule des mots, des leçons, du réconfort. La dictée et la leçon s’en trouvent alors adoucies. Quand la feuille plate et froide sortie de l’imprimante s’adresse à l’élève, la voix ajoute avec douceur une chaleur, un enveloppement sonore qui s’adresse aussi à l’enfant. Toutes les dimensions sont alors rassemblées pour une incorporation à double entrée cognitive et affective du langage. Cela permet de trouver un nouvel ancrage dans la réalité évitant ainsi le sentiment d’abandon pour conserver le lien avec la figure d’attachement que représente l’enseignante (Bowlby[2]).
Pour un certain nombre d’élèves en situation de handicap l’audio est aussi une modalité très intéressante : il est plus accessible que l’écrit (sauf pour les élèves sourds) et le même fichier peut être relu autant que nécessaire, arrêté, relancé, découpé. De nombreux manuels numériques possèdent d’ailleurs désormais une version audio [https://www.sondo.fr/]. Pour les élèves porteurs de dyslexie l’audio synchronisé au texte écrit permet de s’en approprier le sens, sans s’épuiser.
Une autre des idées innovantes portait sur la réalisation d’une vidéo pour souhaiter un bon anniversaire à un élève de maternelle. Le sentiment de devoir lui souhaiter son anniversaire malgré le confinement était une évidence mais cela l’engageait dans une pratique qu’elle était loin de maîtriser avec une réelle prise de risque. Pourtant cette attention personnalisée à destination d’un élève de maternelle montrait bien que la vie ne s’arrêtait pas, inscrivait l’enfant dans une reconnaissance scolaire de son développement et d’un point de vue psychologique, c’était très précieux.
Semaine après semaine, l’année scolaire se poursuit en égrenant les événements de la vie qui permettent de construire les repères temporels, enjeu pédagogique important de l’école maternelle. L’anniversaire a été fêté en famille bien sûr avec les moyens à disposition mais cette présence à distance, grâce au numérique, a fait persister les mêmes rituels (ritournelle de la classe, présence de la mascotte T’Choupi) qui ponctuaient, avant le confinement, les anniversaires célébrés en classe. Un retour immédiat d’enfants de la classe qui ont répondu eux aussi en vidéo. La maîtresse a aussitôt transmis les vidéos comme le maillon de l’interaction entre les élèves.
Cette vidéo originale permettra à l’enfant d’exister en dehors de la maison dans son statut d’élève.
L’enfant existe pour une autre personne, son enseignante, elle représente tout un symbole à cet âge « ma maitresse pense à moi et elle ne m’a pas oublié(e) ». Ainsi, la continuité du lien psychoaffectif est facilitée ce qui favorisera un retour en classe plus serein. Cela permettra également d’un point de vue pédagogique de reprendre le fil du temps, de compléter la frise chronologique avec les événements des semaines de confinement.
Pour l’élève en situation de handicap ce statut d’élève est souvent fragile, précaire. Pour que le retour en classe se passe dans de bonnes conditions il est alors essentiel qu’il perdure lors d’un confinement décidément bien long. Parfois, à cause du handicap, l’image de soi est problématique ou la vidéo peut conduire à des situations de harcèlement. Il est alors préférable d’utiliser des avatars dans les vidéos.
Ainsi, dès les premiers instants du confinement la créativité des enseignants et la richesse du numérique ont permis de maintenir un lien précieux pour le jeune enfant, comme une ligne de vie qu’on ne lâche pas chacun d’un côté.
La voix et le langage sont le lien qui permettent à chacun de rester en contact avec l’autre.
La résistance du lien d’attachement si particulier qui se tisse entre l’élève, l’enfant et son enseignant peut s’appuyer sans complexe sur les différents logiciels mis à disposition par l’Éducation Nationale. Le lien de confiance établi entre parents et enseignants comme une passerelle entre l’espace familial et l’espace scolaire se trouve ici modifié, actif et enrichi de nouvelles modalités. Une vie entre parenthèses pour un instant suspendu qui continue grâce aux idées ingénieuses, innovantes et bienveillantes en proposant une continuité pédagogique semblable à une passerelle psychologique.
L’utilisation des outils numériques, les différentes démarches mises en œuvre parlent d’elles-mêmes et nous montrent que l’usage de la technologie permet de conserver le lien élève/enseignant. En s’appuyant sur des pratiques de classe revisitées, les professeurs prolongent ce lien humain si précieux.
Prenez soin de vous,
Linda Konieczny, Psychologue Education Nationale, Académie de Créteil.
Patrice Renaud – Chef de projet numérique et École inclusive – Direction du numérique pour l’Éducation
Quelques liens pour explorer d’autres pratiques pédagogiques avec les solutions numériques:
Le collectif apprenant Twictée propose depuis plus années d’explorer le potentiel des pratiques numériques collaboratives autour de la dictée, dans l’article suivant est abordé l’usage des classes virtuelles forcément pleines d’humanité lors du confinement.
www.twictee.org/2020/04/17/classe-virtuelle-humaine
La dictée via l’usage des solutions numériques avec la voix des propositions d’usages pédagogiques à retrouver via le site compagnon de la Banque de Ressources Numériques Éducatives (BRNE) Digithèque.
Pour toujours continuer à progresser à son rythme, sont proposés quatre formats pour valoriser l’élève dans sa progression.
blog.digitheque-belin.fr/dictee
Accès à la BRNE:
enseignant.digitheque-belin.fr
Solution SONDO
La solution numérique SONDO, propose une bibliothèque adaptée qui permet à l’élève en toute autonomie de gagner en confiance et de renouer avec le plaisir de lire. Les formats accessibles permettent de soulager l’effort de lecture pour une meilleure compréhension, mémorisation et attention, facilitant ainsi l’inclusion scolaire.
[1] Le Holding correspond au soutien, à l’accompagnement que la mère, l’adulte, le professeur apportent à l’enfant pour le sécuriser. D. Winnicott La famille suffisamment bonne, Payot, 2010
[2] C’est l’engagement émotionnel, les soins quotidiens apportés et le temps passé ensemble qui permettront à l’enfant de construire un attachement à une figure principale (la mère) puis à d’autres figures d’attachement.
- Bowlby Attachement et perte, vol 1, « L’attachement », Paris, PUF, 2002