Dans le contexte de confinement lié à la pandémie relative au COVID-19, ce court texte s’inscrit dans une série de réflexions partagées en construction pour penser les difficultés dans la durée et les franchir ensemble autour d’une organisation résiliente et endurante.
Avec la fermeture des établissements scolaires et le confinement, une rupture temporelle radicale dans nos vies professionnelles et privées s’est opérée.
Ainsi nos habitudes, nos rituels de vie, nos plannings familiaux et professionnels ont été bousculés et ont nécessité de nombreuses adaptations qui sont encore en cours de stabilisation.
Dans ces premières semaines de confinement, les actions liées à la continuité pédagogique s’inscrivent dans une attente de retrouvaille sans cesse différée.
Les psychologues sont témoins chaque jour dans leur pratique thérapeutique des souffrances psycho affectives liées à cette interprétation abandonnique d’une séparation, y compris quand rien dans la réalité objective n’y contribue. Dans cette séparation du corps professoral avec les élèves, il y a, comme dans toute séparation, ce même risque de confusion entre la réalité d’une séparation et le sentiment imaginaire d’un abandon.
La créativité pédagogique observée pendant ces premières semaines de continuité pédagogique illustre l’engagement sans faille des professeurs mobilisés dans une résistance active vis à vis de cette rupture.
Il s’agissait et il s’agit encore pour les professeurs, dans l’urgence de la situation de séparation, de s’inspirer de l’avant pour maintenir une forme de scolarité dans l’instant présent et préparer chaque jour l’avenir des élèves dans l’après confinement.
Les jeunes enfants, n’en doutons pas, ont également mobilisé toute une richesse créative dans leurs jeux symboliques, pour faire persister quelque chose de ce temps d’avant.
Gardons en modèle de cette créativité infantile, le jeu du ‘For Da’ décrit par Sigmund Freud dans « Au delà du principe de plaisir »[1] où un très jeune enfant transcende l’absence de sa mère vécue comme radicale, par un jeu d’aller et retour d’un petit objet familier.
Il existe chez chacun, une capacité à atténuer le manque par la créativité imaginaire et par l’action.
Inventer « l’école à la maison », procède d’une dynamique psychique similaire à cette activité dans ce simple jeu d’enfant. Il s’agit de créer une situation nouvelle s’inspirant de ce dont nous sommes privés pour en supporter l’absence et la transcender par l’utilisation ou l’invention de nouvelles formes pédagogiques, en l’occurrence via une appropriation des solutions numériques.
Les ressources numériques, les échanges parents / enseignant se sont ainsi multipliés spontanément pour combler le vide laissé par la fermeture des établissements scolaires afin d’en atténuer l’impact. La multiplication riche des traits d’humour, des vidéos ou des initiatives locales participent du même mouvement de résistance contre l’isolement qu’impose le confinement.
Cette transcendance de la fermeture des écoles s’inscrit dans la dynamique de pulsion de vie en assurant une permanence de l’objet et du lien indispensable à chacun (le sujet du lien sera abordé dans un prochain article).
A présent que la séparation est consommée et en passe d’être progressivement acceptée, vient le temps
d’inscrire la continuité pédagogique dans la durée, et de proposer d’une part de nouvelles modalités temporelles d’apprentissage pour les élèves et d’autre part de travail pour les professeurs.
Le risque d’essoufflement des professeurs et de leurs élèves peut être majoré par l’absence d’échéance, de date de retrouvaille. Le risque est donc grand pour chacun de se sentir « abandonné » et d’épuiser ses capacités à soutenir l’autre, qu’il soit parent ou élève.
La question des « retrouvailles », de l’après confinement est complexe et essentielle, elle mérite d’être pensée dès à présent et fera prochainement l’objet d’un nouvel article.
Le temps linéaire pensé par les physiciens n’est pas le temps psychique, ce dernier est modulé par différents facteurs propres à chaque sujet et propres à la complexité du contexte actuel. La monotonie qui risque de s’installer est cependant atténuée par l’intensité des instants chargés en émotion pendant la crise sanitaire et le confinement. Le temps présent aussi monotone semble-t-il, reste “extra-ordinaire”. Si chaque jour semble similaire à l’autre ce que nous vivons aujourd’hui est exceptionnel et à chaque instant, nos choix sont restreints par des contraintes relevant de la survie.
Moins soumis aux contraintes temporelles liées à l’alternance des temps privés et institutionnels, il appartient cependant à chacun de recréer un rythme quotidien en fonction de sa personnalité, de son vécu et de ses conditions de confinement.
En ce sens, prescrire un planning d’activités qui collerait au rythme de la vie scolaire est plus risqué que nécessaire. Rendre les parents compétents suppose de leur laisser la souplesse indispensable pour qu’ils ajustent le planning des activités pour leurs enfants en fonction des capacités de travail de leur enfant et de leur culture familiale. D’une famille à l’autre le cadre éducatif est différent et seuls les parents pourront inscrire les activités scolaires en cohérence avec leur mode de vie et de parentalité.
Dans la complexité actuelle, il est possible que l’essentiel des apprentissage se fasse via des méta-compétences plus que dans les compétences liées à tel ou tel domaine d’apprentissage.
Une très grande majorité des élèves aura, dans les circonstances complexes, construit une maturité sans commune mesure avec celle des dernières générations.
Cette expérience et ces compétences liées compenseront probablement quelques manques de connaissances disciplinaires ponctuelles, ces dernières n’étant pas forcément intégralement couvertes ou abordées.
Les programmes ne sont pas initialement pensés pour traverser une situation exceptionnelle mais au contraire pour une organisation régulière « dans la norme ».
Le professeur et les équipes pédagogiques peuvent légitimement acter que pour beaucoup d’élèves le programme initialement prévu ne sera pas couvert et que là n’est pas l’essentiel dans cette période de confinement liée à la pandémie.
Conseils à la gestion des temporalités
Nous suggérons quelques conseils relatifs à la gestion des temporalités dont la vocation est de rendre possible la continuité pédagogique dans la durée sans qu’elle ne devienne source de stress supplémentaire.
– Veiller à conserver une alternance des temps de vie privé et des temps de travail pour les professeurs, pour leurs élèves et leur famille. Cette alternance journalière et hebdomadaire, dans le respect des temps de repos est structurante pour chacun (ne pas travailler avant ou après certaines heures, ne pas trop travailler le week-end).
– S’accorder du temps pour soi et pour prendre soin des autres.
– Accompagner les parents quand ils en font la demande, pour la mise en place de rituels pour la journée ou pour la semaine sans que les rituels mis en place pendant le confinement n’aient vocation à recréer les rythmes scolaires. Se lever plus tard, alterner temps de jeux de divertissement, temps de travail, temps pour rêver / s’ennuyer/ tâches de vie quotidienne sont autant d’activités à vivre et à inventer par chaque famille.
– Favoriser le principe de plaisir en valorisant les activités de création, de dessin, de jeux dont les jeux symboliques par exemple chez les jeunes enfants ou d’autres modalités ludiques pour les adolescents.
– Différer l’apprentissage de nouvelles compétences et privilégier des activités permettant de stabiliser les apprentissages passés. Les solutions numériques permettent souvent de gérer sous la forme d’exercices différenciés ces situations de révision et d’entraînement. Notamment via les activités auto-adaptatives comme par exemple celles utilisant des solutions basées sur de l’Intelligence Artificielle (IA) qui permettent de proposer des activités aux élèves au juste niveau (celui de l’élève au moment de l’activité) et au bon moment avec des rappels gérés dans le temps et l’espacement adapté des réactivations.
– Proposer des activités sur différentes temporalités en fonction de l’âge des élèves sur celle de la semaine, du mois.
Avec les outils numériques par exemple via les Espaces Numériques de Travail (ENT) il est possible de répartir les travaux, suivant l’âge des élèves sur une ou deux semaines et pour les plus grands sur un mois en fonctionnant en mode projet/exposé. Cela peut ainsi remplacer les exercices donnés du jour pour le lendemain qui sont susceptibles de générer des difficultés importantes pour certains élèves et leurs parents. Cette répartition des travaux permet de s’inscrire dans une durée et d’échanger entre élèves et entre les élèves et le professeur pour aider et réguler les activités.
– Adapter les activités proposées au delà des seules consignes avec des conseils, indices, éléments d’auto-correction permettant des essais-erreurs en libérant ainsi le professeur de corrections chronophages à partir des seuls premiers essais des élèves. Là encore les solutions numériques actuelles permettent cette différenciation via, par exemple, les Banques de ressources numériques éducatives (BRNE) et d’autres services numériques pédagogiques disponibles via la page consacrée à la continuité pédagogique du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse.
Pour le premier degré, on pourra consulter également le portail Prim à bord (école et numérique) qui assure une veille et des témoignages d’usages de solutions numériques pédagogiques dont les récentes solutions basées sur l’assistance aux apprentissages avec IA (Partenariat d’Innovation IA).
D’un point de vue psychologique et pédagogique la question du temps est essentielle durant toute cette période d’incertitude. L’activité de l’année scolaire est particulièrement rythmée et inscrite dans une temporalité connue initialement et forcément respectée avec par exemple un examen final.
Cela n’est plus le cas dans cette période complexe de la pandémie et du confinement aussi, nous continuons à inviter chacun à penser les actions et la gestion des efforts dans les temps longs.
Il ne s’agit pas d’une épreuve de sprint mais bien d’une épreuve d’endurance dont nous ne connaissons pas précisément la durée.
Aussi reprenez votre souffle, prenez votre temps, acceptez quelques arrêts et pauses permettant de mieux repartir et que chacun puisse continuer d’avancer.
Prenez soin de vous.
Claire Anatole, Psychologue de l’Éducation nationale, académie de Créteil.
Axel Jean, bureau du soutien à l’innovation numérique et à la recherche appliquée, Direction du numérique pour l’Éducation.
[1] S. Freud «Au-delà du principe de plaisir», Essais de psychanalyse, petite bibliothèque Payot, Paris, 1985,