En quelques jours, le quotidien des enseignants, routines et adaptations pédagogiques variées, s’est retrouvé bouleversé par une situation non-encore envisagée. La vague épidémique qui déferlait sur le continent a bien provoqué une série de questionnements, mais rien ne laissait envisager une telle accélération subite de la nécessité de transformer, adapter l’enseignement, pour le dispenser en dehors de toute relation physique. En moins de 72h, nous passions du présentiel au distanciel, ne laissant que peu de temps à chacun pour s’adapter.
Y étions-nous réellement préparés ?
Un formidable coup d’accélérateur
Les recommandations institutionnelles sont simples. Les outils existent, utilisons-les ! Il est vrai. que depuis des années s’opèrent de lentes transformations au sein du système éducatif, interrogeant notre capacité à opérer des transformations pédagogiques en lien avec l’évolution des conceptions, approches et technologies au sein de notre société. De fait, de longues et intenses réflexions existent, voulant aider à l’accompagnement de cette évolution. Les outils existent bien… Cependant ils sont hétéroclites, rassemblés au cœur d’entités similaires et malgré tout hétérogènes : les ENT (Environnement Numérique de Travail).
Outils pédagogiques collectifs, ils se sont montrés très vite utiles à la communication entre professeurs et avec les familles. Et dans cette situation de crise encore plus que jamais, sauf que… En l’espace d’un week-end, une part considérable de ces outils ont montré les limites. Techniques d’abord, et pédagogiques très vite. Tout cela tient en un seul mot : la submersion.
Noyés sous les messages, et victimes de la désorganisation initiale des équipes éducatives, élèves, parents et professeurs y ont perdu un peu de leur enthousiasme. Ça a commencé par ça…
Continué avec ça…
pour finir avec la nécessaire prise de conscience qu’au bout de la chaîne, dans un contexte d’aménagements difficiles, il y avait les élèves, et leurs parents, pris dans l’étau anxiogène des impératifs scolaires (apprentissages, devoirs, évaluations, examens, concours).
L’éducation physique et sportive en distanciel
L’équilibre doit être rétabli. Discipline à part entière, l’EPS se doit d’apporter ses moyens à sa mise en œuvre.
Très vite, les enseignants les plus aguerris se sont organisés pour partager leurs expériences et documents. Cette démarche existait déjà au travers de l’émergence de différents groupes sur les réseaux sociaux. Pour faire simple, je citerai EPSMania, un groupe sur facebook, d’origine récente et qui a vu ses effectifs augmenter de manière considérable en 15 jours. On sentait au tout début du confinement un moment de flottement dû en particulier à différentes prises de positions mises en oppositions : fallait-il encourager la pratique physique autonome à la maison ? sous quelles formes ?
Des positions d’autant plus compliquées à affirmer que des directives claires, mais contradictoires aussi, suivant les acteurs éducatifs, sont apparues dans un intervalle de temps très court. Et que de plus, une prise de conscience forte de l’impératif de santé est apparue, dans les réflexions sur les problématiques liées au confinement.
En l’espace de quelques jours, experts ou se formant sur le tas, grand nombre d’enseignants d’EPS ont répondu de manière forte, originale et efficace à de nombreuses questions et aux impératifs cruciaux que posent cette situation. Oui ! il est possible d’avoir une pratique physique en confinement, tout comme il est nécessaire, et évident, qu’elle existe en dehors de l’école. Nous ne débattrons pas de sa forme dans cet article, mais je préciserai, car c’est nécessaire et important, qu’elle se doit d’être adaptée à leurs niveaux, et sûre pour les élèves.
Les supports des mises en œuvre
Ce qui est impressionnant demeure, comme toujours, la forte capacité d’adaptation et de création des enseignants. Nous voyons de plus, que cette adaptation s’accentue au regard des difficultés.
Par exemple, le mode de diffusion des contenus. On l’a vu plus haut, les premiers instants se sont révélés calamiteux. D ‘autant plus calamiteux que le format des ENT se préoccupe souvent trop peu des modes de communication privilégiés de nos élèves. Quand on analyse les supports de cette communication: outils, données, systèmes d’exploitation, il semble que cela n’ait été que partiellement une préoccupation. Étions-nous prêts ?… Peut-être ?
En EPS en tous cas, il semble qu’une partie ayant investi le champ des pratiques numériques a pris le problème à bras le corps et a su exploiter le potentiel digital. Dans une relation pédagogique majoritairement descendante, la profusion de créations a été passionnante. Quelle chance pour nos élèves ! Cela va du catalogue agrémenté de plans, aux propositions de retours vidéos, quizz et jeux divers. Une richesse incroyable que de petits nuages sont venus recouvrir de leur réalité parfois menaçante !
Usage et protection des données
Le souci majeur de l’usage du numérique n’est pas l’originalité ou la créativité. Il n’est pas dans l’envie, l’ambition ou la volonté. Il est dans les moyens préconisés et les règles. Si les règles sont incontournables, les moyens peuvent être discutés. Ils le sont d’ailleurs. Dans la dimension pédagogique, il y a un incontournable: le dialogue. En classe il est naturel, immédiat, et également souhaité. Interroger fait partie de l’acte. Le numérique le permet aussi, mais dans d’autres mesures, pas forcément synchrone, et forcément déstructuré. Dans les propositions des professeurs d’EPS, l’usage d’outils ne répondant pas forcément à toutes les règles, parfois juste pour des questions d’interprétations ou de nuances, a pris le pas sur l’offre institutionnalisée, contournant les obstacles décrits en terme d’accessibilité. Mais avec des objections règlementaires.
Notre souci principal : le suivi des élèves. Nécessaire pour la régulation, au travers de la différenciation ou plus simplement l’adaptation de niveau pour les enseignants, il est également un outil de positionnement pour les élèves. Face à la création et à l’originalité, les outils classiques n’ont que rarement pu répondre aux demandes des enseignants, et tout particulièrement les professeurs d’EPS. Au travers des exemples cités, ce sont souvent des comptes personnels sur des espaces en ligne qui
sont utilisés. Et donc, les difficultés qui vont avec les règles inhérentes d’hébergement et de gestion des données. Des préoccupations qui toutefois n’interpellent pas vraiment les familles, plutôt satisfaites des propositions faites, même submergées.
Une semaine pour d ‘adapter
Il a donc été nécessaire de s’adapter. Certains ont fini par obtenir gain de cause dans l’urgence sur des projets et demandes antérieures. D’autres ont recentré leur réflexion sur les outils existants. D’autres encore ont tout simplement supprimé tout ou partie de ce qui pouvait prêter à reproches. Et d’autres ont mis à disposition leurs acquis, connaissances et compétences pour proposer des solutions nouvelles.
Elles peuvent être alternatives, mais elles peuvent aussi être novatrices. La créativité, dans de telles conditions, peut repousser les limites.
Certains collectifs se sont donc attachés à répondre aux problématiques de suivi, de relations professeurs avec les élèves, et de positionnement individuel. Proposer une activité physique adaptée, offrir des choix aux élèves et leur permettre d’évaluer investissement et progrès. C’est ainsi qu’en l’espace d’une semaine, les IPR (inspection pédagogique régionale) de l’académie de Versailles ont validé le projet #EPSilon.
Le projet « EPSilon »
Hébergée (sans aucune contrepartie commerciale) sur scolapro.fr, EPSilon est une interface connectée qui permet aux professeurs d’EPS, mais également aux enseignants d’autres disciplines, de proposer du contenu élaboré aux élèves, en leur permettant également de les questionner sur ces contenus. En EPS, nous avions à cœur de proposer une activité en continuité, réalisable de manière volontaire et autonome par les élèves, et leur permettant de se suivre en temps réel.
EPSilon est née d’une réflexion à propos des outils existants sur les plateformes commerciales, la prise d ‘assaut de ces plateformes par les enseignants, et la conformité au regard de la réglementation sur l’usage des données, conformité visible ou plus subtile.
Cette réflexion a été produite au sein du GEPEPS de l ‘Académie de Versailles. Précision utile car ce Groupe d’Expérimentation Pédagogique travaille sous la responsabilité des inspecteurs pédagogiques. Une légitimité plus qu’importante au sein de la DANE, avec comme valeur ajoutée, un corpus de professeurs d’EPS aguerris aux différents types d’établissements et niveaux scolaires. Une rencontre forte entre la pédagogie, sur le terrain, et le numérique, formidable outil de transformation des pratiques.
L’ensemble de la réflexion a porté sur le mode de diffusion de contenus aux élèves, issus des séquences ayant précédé le confinement. Des contenus sous la responsabilité de chaque enseignant, à même de les adapter à une pratique autonome hors de l’école. Puis sur le mode de restitution. Comment permettre à un élève de faire état de son adhésion et de restituer un bilan de celle-ci, bilan pouvant par la suite servir de support à une continuité au retour en classe, une validation, une évaluation ?
Le dispositif EPSilon apporte donc une image, un état des pratiques. Il inclut également un système d’attribution automatique, ou manuelle, de badges, validant des compétences acquises hors les murs. La vocation de notre école n’est-elle pas de former et préparer à l’avenir d’une vie en société ? Ne sommes-nous pas, en EPS, les mieux placés pour aider à la gestion et l’entretien de la vie physique à tous les âges de l’existence ?
Un exemple de terrain : une équipe pédagogique crée 4 activités pour chacun des niveaux de son établissement, Les élèves s’inscriront à l’activité qui les concerne avec un code qui leur est fourni. Une activité implique différentes étapes avec de possibles changements au fil des jours. C’est évolutif, adaptable et personnalisable. Un exemple au cœur du confinement. Mais aussi un mode de fonctionnement qui pourra se poursuivre pour chaque enseignant, individuellement, avec ses classes, dans d’autres circonstances. Les points forts d’EPSilon : une souplesse d’utilisation trop peu accessible aujourd’hui dans un objectif éducatif collectif, une variété de contenus et de questionnements, une accessibilité multi supports, le respect des données et de la vie privée.
Pour les élèves, c’est la connaissance immédiate du résultat qui est mise en avant. Cumul de points et suivi des activités, informations, et variété de productions. Obtention de gratifications sous forme de badges mettant en avant l’utilité de toute forme d’activité déployée. Une forte implication, tout en l’adaptant à ses besoins, envies et capacités.
Une plateforme à part entière déjà fortement investie avec seulement quelques jours d’existence. Un outil voué à évoluer au sein d’un système éducatif qui aura eu besoin d’un électrochoc pour réaliser combien ses acteurs de terrain pouvaient être incontournables, bien au-dessus de propositions qui ont pu les mettre parfois en difficultés
En conclusion…
Il n’y a qu’en contexte que peuvent s’éprouver les conceptions les plus diverses. Dans le champ de l’enseignement, nous avons largement dépassé le temps de l’amateurisme auquel on voudrait reléguer les enseignants en cloisonnant les domaines de compétences et décisions.
Aux impératifs de continuité pédagogique saupoudrés aux cas marginaux de l’école se sont agrégés ceux du vaste public que sont tous les élèves. On tirera une liste non négligeable de bilans et conclusions sur cette période, et j’espère très sincèrement que seront valorisées l’ensemble des démarches qui auront permis d ‘assurer la continuité nécessaire, autant, si ce n’est plus, que les couacs de départ, ce sont les initiatives personnelles ou collectives qu’il faut saluer. Il faudra ne pas perdre de vue ce qui a été produit et savoir s’en servir à l’avenir, Car si je suis persuadé qu’un enseignant sait s’adapter, anticiper, un système lui, aura plus de mal. Et encore plus, sans s’appuyer sur ses ressources, celles qui se confrontent aux réalités, définissent les besoins, créent les solutions.
L’EPS, discipline à part entière, a largement investi cet espace, a innové et créé des conceptions, et même les outils de la continuité pédagogique. Il est très difficile de terminer cet article tant le système est en mouvement constant. A l’heure où j’écris, les choses ont encore évoluées. La question de la reprise, et des évaluations commence à envahir le champ des questionnements sur l’avenir. Les conséquences seront nombreuses. Gardons à l’esprit le propos initial. De cette période est née l’image plus précise des chantiers à venir. Une remise en question qui sera nécessaire et une prise en considération de l’ensemble des propositions faites, alors même qu’elles n’auraient pas provoqué le moindre intérêt avant !
Auteur : Martial Pinkowski
Liens utiles :
- Accéder à EPSilon : http://scolapro.fr/ > inscription gratuite : http://scolapro.fr/EPSilon/
- Le MAG du GEP spécial #ContinuitePedagogiqe – avril 2020 : http://acver.fr/magdugep-special-2020
- Quand les professeurs se mettent en scène : Coach Néné (David Del Corso) : https://www.youtube.com/channel/UCO0KyOJbZ4A0Bp6HFSK5geg
- Passer le message et dédramatiser la situation : https://www.youtube.com/watch?v=El_aqksf4R0&feature=youtu.be
- L’utilisation des GlideApps :