Pour son édition 2020, le Colloque scientifique de Ludovia, lieu d’échanges et de réflexions, poursuit son exploration des problématiques posées par le numérique dans les pratiques éducatives et/ou ludiques en convoquant des approches pluridisciplinaires (arts, informatique, sciences de l’éducation, sciences cognitives, sciences de l’information et de la communication, etc.).
Pour son édition 2020, le Colloque scientifique Ludovia, lieu d’échanges et de réflexions, poursuit son exploration des problématiques posées par le numérique dans les pratiques éducatives et/ou ludiques en convoquant des approches pluridisciplinaires (arts, informatique, sciences de l’éducation, sciences cognitives, sciences de l’information et de la communication, etc.).
Après les problématiques de l’immersion (2006), de la convivialité (2007), du faire soi-même (2008), espace(s) et mémoire(s) (2009), interactivité et interactions (2010), de la mobilité (2011), du plaisir (2012), de l’imaginaire (2013), de création et de consommation (2014), des appropriations et détournements (2015), Formes d’attention, formes de présence, engagement (2016), Partage, échange, contribution, participation (2017), institutions et numérique (2018), numérique et représentations (2019) nous proposons pour l’année 2020 :
Injonction(s) du numérique
L’avènement du numérique est sans doute une évolution anthropologique nécessaire, comme tend à le montrer le consensus scientifique, en le considérant comme une troisième écriture (Herrenschmidt, 2007)[1], après l’écriture et l’imprimerie, une hypersphère, après la graphosphère et la vidéosphère (Merzeau, 1998)[2], ou encore un support d’une raison computationnelle(Bachimont, 2010)[3], comme l’écriture l’a été pour la raison graphique. De ce point de vue, en tant que technologie de l’intellect(Goody, 1979)[4], il apparaît logique que le numérique s’impose progressivement dans tous les domaines sociaux.
Pour autant, les formes prises par la numérisation progressive du monde ne sont pas naturelles. Le numérique ne s’impose pas de soi, selon un darwinisme technique qui en ferait le successeur inéluctable de la machine à vapeur et de l’électricité. Il est instruit par des instances politiques, économiques, développé par des industries, médié par différentes instances sociales qui agissent selon des intérêts divers, parfois convergents, parfois contradictoires. Dans l’espace social, cette perception d’une nécessité est fortement soutenue par des campagnes médiatiques. Les promesses du numérique s’y déploient dans un continuum de développements perpétuels qui « instille quotidiennement l’évidence de l’avènement de futurs technicisés, présentés à la fois comme inévitables et fondamentalement désirables » (Compagnon, 2019 : 7). Ces intérêts croisés amènent à considérer la grande conversion numérique (Douehi, 2011) comme un enjeu sociétal complexe qui s’impose aux acteurs : les usagers sont sommés, sous diverses injonctions, à investir le monde numérique qui a été créé pour eux.
L’amplitude des effets de ces injonctions sur les individus a peu à peu suscité des réactions car ils sont potentiellement vécus comme des restrictions de liberté. Ce qui était vu comme un moyen « libre » de communication et d’information semble se muer en un outil de formatage. Ces injonctions prennent de multiples formes, elles ont été abordées par divers travaux de recherche dont Ludovia 2020 souhaite rassembler les arguments :
- Injonction idéologique, qui impose l’idée d’une société numérique inéluctable, naturalisée, impensée (Robert, 2012)[5], prolongeant le bluff technologique prédit par Ellul (1988)[6];
- Injonction technique, derrière laquelle sourd l’idéologie du progrès, sous les avatars contemporains, par exemple, du solutionnisme technologique (Morozov, 2014)[7];
- Injonction industrielle et marchande, qui pousse au développement d’un environnement numérique pervasif (Kaplan, 2012), que d’aucuns considèrent comme tyrannique (Biagini, Carnino, 2007)[8], qui fait de l’activité en ligne un digital labor (Cardon, Casilli, 2015)[9], ou un marché de l’attention (Citton, 2014)[10] et des affects (Alloing, Pierre, 2018)[11];
- Injonction psychosociale, qui fait des appareils numériques des objets de désir et des signes extérieurs de richesse, du personal branding et de l’e-reputation (Alloing, 2016)[12] des modalités essentielles de la construction de l’identité (Georges, 2009[13], Gomez-Méjia, 2016[14]) et de l’institutionnalisation personnelle (Gobert, 2018)[15]…
Les propositions de communication pourront rendre compte des possibles gradations, entre besoin de standardisation et revendication de liberté, dans les domaines et les disciplines qui font la variété des approches du colloque.
- Dans le domaine éducatif, la promotion incessante de nouvelles méthodes pédagogiques médiées par le numérique —serious gaming, MOOC, etc. — s’ajoute à des mesures institutionnelles successives comme le Plan de développement des usages du numérique à l’école (2010) et nombre de rapports parlementaires. Elle crée une injonction pédagogique d’usage et des pratiques à double tranchant. Si elle favorise l’émergence de nombreuses initiatives, elle attise des résistances (Biagini, Cailleaux, Jarrige, 2019)[16]et met en question la liberté de choix. Le numérique éducatif est-il une injonction, institutionnelle, pédagogique, ou une transformation nécessaire[17]? De la prudence critique (Tricot, Amadieu, 2014)[18] au techno-enthousiasme (Khan, 2013)[19], en passant par l’expérimentation optimiste (Romero et al., 2017)[20], comment faciliter cette intégration, ou, au contraire, modérer cette imposition ?
- En sciences humaines, la question pressante de la constitution des humanités numériques[21] et des modalités d’appréhension du big data obligent les disciplines à une introspection épistémologique et méthodologique. Elle conduit à repenser les heuristiques disciplinaires : quelles données recueillir et questionner (San Juan, 2014)[22], quelles méthodes mettre en œuvre pour les analyser dans le contexte des herméneutiques et des méthodologies qualitatives préexistantes ?
- D’autre part, des situations de communication aux représentations de soi (Quantified Self) connectées, ou médiées par la relation interactive à une ou plusieurs interfaces numériques, les individus et les groupes mettent en œuvre des stratégies de modération de l’activité numérique, qu’on peut concevoir comme le symptôme d’une forme de résistance à l’injonction ; pour d’autres, en revanche, la relation aux environnements numériques prend des allures d’aliénation ; quels mécanismes sont à l’œuvre, quels dispositifs favorisent ou contraignent les usages, pour quelles fins ?
- Dans le domaine esthétique, on pourrait croire que la question est tranchée depuis longtemps, avec l’évidence de l’art numérique (Couchot et al., 2003)[23], du net art (Fourmentraux, 2005)[24], de la musique (Réseaux n° 172)[25] ou de la numérisation du cinéma (Beau, Dubois, Leblanc, 1998)[26]. Mais la numérisation est passée des pratiques de production aux pratiques de réception (Bourgatte, Thabourey, 2012)[27], profondément modifiée par l’avènement de l’informatique mobile et de la connexion permanente, et dans le spectacle vivant, elle est encore problématique (Ligeia n° 137 – 140)[28]. Comment les artistes gèrent-ils cette pression sociale de l’omniprésence numérique dans les pratiques spectatorielles ? Comment les artistes de spectacles vivants s’accommodent-ils de l’injonction numérique ?
- Le domaine vidéoludique peut être vu comme une forme de laboratoire socio-technique : alors que les techniques narratives vidéoludiques empruntent d’abord à leurs aînées audiovisuelles, littéraires et folkloristiques, elles sont maintenant prises comme modèle de scénarisation dans l’innovation pédagogique. L’injonction numérique passe-t-elle par la ludicisation des pratiques d’apprentissage ?
Ces questionnements sont des pistes non exclusives de réflexion. Toutes les propositions questionnant la dimension injonctive des applications du monde numérique seront bienvenues.
LUDOVIA 2020 – ORGANISATION DU COLLOQUE SCIENTIFIQUE
Modalités de soumission
Les propositions doivent être transmises par courrier électronique jusqu’au 25 avril 2020 à : colloque@ludovia.org
La réception de chaque proposition donnera lieu à un accusé de réception par courriel.
La proposition livrée en fichier attaché (titré « nom de l’auteur_Ludovia_2020 ») aux formats rtf, doc ou odt, sera composée de 3 parties :
- Un résumé de la communication de 3 000 signes maximum, espaces comprises ;
- Une courte biographie du (des) auteur(s), incluant titres scientifiques et principales publications récentes, une page maximum ;
- Une note de positionnement scientifique indiquant la section scientifique de rattachement, la méthode appliquée, le terrain d’expérimentation (s’il y a lieu) et les références.
Organisation de la sélection
La lecture des propositions se fera en double aveugle (deux lecteurs, ne disposant que du texte de la communication, sans les mentions liées à son auteur), l’un des lecteurs étant issu du champ de recherche correspondant à l’article, l’autre éventuellement extérieur.
Chaque auteur recevra un avis circonstancié qui indiquera l’acceptation (conditionnée ou non), ou le refus de l’article. Les propositions acceptées sous condition devront être modifiées en fonction des remarques des lecteurs.
Modalités techniques
L’article définitif devra respecter les conventions typographiques et de mise en page qui seront envoyées dans une feuille de style type lors de l’acceptation de la proposition.
La taille de l’article sera comprise entre 25 000 et 30 000 signes, espaces comprises.
Il sera envoyé par voie électronique sous la forme d’un fichier au format .doc, .rtf ou .odt, contenant le titre, le résumé, le texte et, le cas échéant, ses illustrations, numérotées de façon incrémentielle (figure 1, figure 2, etc.).
Participation au colloque
Les auteurs retenus seront conviés à venir présenter leurs travaux à Ax-les-Thermes dans le cadre d’une communication orale de 20 minutes.
Ludovia ne prend pas en charge les frais de transport et d’hébergement des communicants.
La publication dans les actes est conditionnée à la participation au colloque.
Publication
- Les résumés des articles acceptés, notes biographiques et de positionnement scientifique seront publiés avant le colloque sur le site de l’université d’été Ludovia : www.ludovia.fr
- Les articles seront publiés par voie électronique après le colloque dans l’espace de publication du site Web de « Culture numérique ».
- Une publication scientifique ultérieure s’appuyant sur les arguments de cet appel sera proposée dans une revue scientifique qualifiante.
Calendrier (dates importantes)
- Date limite de soumission : 25avril 2020.
- Notification d’acceptation des propositions : 25 mai 2020.
- Colloque: du 24 au 27 août 2020.
- Remise des textes complets pour publication (30 000 signes maximum) : avant le 20 décembre 2020.
En savoir plus
Pour de plus amples renseignements sur l’appel à communications, vous pouvez nous contacter par l’adresse de réception des communications : colloque@ludovia.fr
Présidents du Colloque Scientifique Ludovia 2020 :
Thierry Gobert (UPVD), Michel Lavigne (Toulouse 3), Patrick Mpondo-Dicka (Toulouse 2)
Les informations ultérieures concernant le Colloque, seront diffusées :
- Pour les aspects matériels (inscriptions, hébergement) sur le site : ludovia.fr
- Pour les aspects scientifiques sur le site : culture.numerique.free.fr
Télécharger l’appel à communications scientifiques => AAC_Ludovia_2020
[1] Herrenschmidt C. (2007), Les trois écritures. Langue, nombre, code, Bibliothèque des sciences humaines, Paris, Gallimard.
[2] Merzeau L. (1998), « Ceci ne tuera pas cela », Les cahiers de médiologie, vol. 6, no. 2, 1998, pp. 27–39.
[3] Bachimont B. (2010), Le sens de la technique : le numérique et le calcul, Le Kremlin-Bicêtre, Les Belles Lettres.
[4] Goody J. (1979), La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, trad. J. Bazin et A. Bensa, Paris, Éd. de Minuit.
[5] Robert P. (2012), L’impensé informatique : Critique du mode d’existence idéologique des technologies de l’information et de la communication : Tome 1, Les années 1970–1980, Paris, Archives contemporaines.
[6] Ellul J. (1988), Le bluff technologique, Hachette, Paris, 1988.
[7] Morozov E. (2014), Pour tout résoudre, cliquez ici. L’aberration du solutionnisme technologique, Limoges, FYP.
[8] Biagini C., Carnino G. (dir., 2007), La Tyrannie technologique. Critique de la société numérique, l’Échappée.
[9] Cardon D., Casilli A. (2015), Qu’est-ce que le Digital Labor, INA Éditions.
[10] Citton Y. (dir., 2014), L’économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ? La Découverte.
[11] Alloing C. et Pierre J. (2017), Le Web affectif, une économie numérique des émotions, Ina Éditions.
[12] Alloing C. (2016), (E)réputation : médiation, calcul, émotion, CNRS Edition.
[13] Georges F. (2009), « Identité numérique et représentation de soi : analyse sémiotique et quantitative de l’emprise culturelle du web 2.0. » Réseaux, n°154, pp. 165-193.
[14] Gomez-Mejia G. (2016), Les Fabriques de soi ? Identité et Industrie sur le web, Paris, MkF.
[15] Gobert T. (2018), « La e-identité comme facteur de l’institutionnalisation de soi », Innovation, institution du numérique, Ludovia # 15, 20 août 2018
[16] Biagini C., Cailleaux C., Jarrige F. (coord.) (2019), Critique de l’école numérique, L’Échappée.
[17] Baron, G.-L., Depover, C. (dir.) (2019), Les effets du numérique sur l’éducation. Regards sur une saga contemporaine. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion
[18] Tricot A., Amadieu F. (2014), Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Paris, Retz.
[19] Khan S. (2013), L’éducation réinventée ; Une école grande comme le monde, Paris, Lattès.
[20] Romero M., Lille B., Patino A. (2017), Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIe siècle, Presses de l’Université du Québec.
[21] À titre indicatif, parmi la pléthore de publications, signalons ces numéros de revue récents : Questions de communication n°31 (2017/1), Quaderni n°98 (2019/1), Les Cahiers du numérique 2017/3-4 (Vol. 13).
[22] Ibekwe-SanJuan F. (2014), “Big Data, Big machines, Big Science : vers une société sans sujet et sans causalité ? », 19e congrès de la SFSIC, Toulon 4 au 6 juin 2014.
[23] Couchot E., Hillaire N. (2003), L’art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion.
[24] Fourmentraux J.-P. (2005), Art et Internet, les nouvelles figures de la création, Paris, CNRS éditions.
[25] Réseaux 2012/2 (n° 172), Musique et technologies numériques, La Découverte.
[26] Beau F., Dubois P., Leblanc G. (1998), Cinéma et dernières technologies, INA-De Boeck, 1998
[27] Bourgatte M., Thabourey V. (dir., 2012), Le cinéma à l’heure du numérique. Pratiques et publics, Paris, MkF.
[28] Ligeia 2015/1, n°137–140, Théâtres laboratoires, Éditions Ligeia.