A l’occasion de l’université d’été de Ludovia, 16ème édition, de nombreux enseignants et autres membres de la communauté éducative vont venir présenter leur expérience avec le numérique sur le thème de l’année, « Intelligences & représentations du numériques dans l’éducation ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût de ces ateliers jusqu’au début de l’évènement, mardi 20 août.
Maxime Verbesselt & Valentine François présenteront « Dans la peau d’un algorithme : un jeu d’éducation aux algorithmes de recommandation » sur la session II, Culture numérique.
Problématique pédagogique :
Action Médias Jeunes est une organisation de jeunesse d’éducation aux médias active en Belgique francophone. Notre mission est de susciter une attitude réflexive et critique des jeunes face à leur environnement médiatique. Pour y arriver, nous organisons des ateliers où tous les jeunes, au centre du projet, lisent, analysent et produisent des contenus médiatiques.
Dans cette optique, nous essayons d’adopter une pédagogie qui ne se base pas sur la moralisation des usages des jeunes mais sur la problématisation des enjeux médiatiques contemporains. Ainsi, nous avons développé un module d’animation sous forme de jeu intitulé « Dans la peau d’un algorithme » visant à inviter les jeunes à s’interroger sur le rôle des algorithmes de recommandation dans la consommation médiatique et culturelle. Ce jeu propose aux participants et aux participantes de décentrer leur regard d’utilisateur·rice du numérique pour incarner des ingénieur·e·s travaillant sur un nouvel algorithme de recommandation de vidéo pour Youtube.
Nous avons choisi ce sujet d’une part car il nous semble proche des préoccupations et usages quotidiens des jeunes et d’autre part car il permet de dédramatiser la question du contenu pour se concentrer sur l’environnement technique.
Nous avons conçu cette animation en partenariat avec des membres du CRIDS (Centre de Recherche Information, Droit et Société) de l’Université de Namur, avec qui nous proposons d’ailleurs une communication au colloque scientifique de Ludovia, axée sur le projet de recherche qui accompagne l’animation. Nous sommes convaincu·e·s, aujourd’hui plus encore que lors du lancement du projet, de la nécessité de mener davantage de collaboration entre le monde de la recherche en éducation et le terrain. Cela nous a amené à penser la conception du jeu en prenant en compte les facteurs théoriques sur le fonctionnement des algorithmes apportés par l’équipe universitaire. Suite aux animations pilotes, nous avons pris en compte les retours d’analyse de l’équipe de recherche pour améliorer la structure du jeu.
Apport du numérique :
Concrètement, le jeu se déroule de la manière suivante :
• Nous commençons par mettre les participant·e·s en situation et leur expliquons les règles du jeu.
• Nous les divisons ensuite en trois équipe. Chacune reçoit une série de données différente liée à une liste de clips musicaux présents sur la plateforme avec pour objectif de créer le meilleur algorithme de recommandation pour arriver à classer les dix vidéos, de la meilleure à la moins bonne. La première équipe devra recommander les vidéo de manière générale alors que les deux autres recevront dès le début un persona (Juliette, 15 ans, habitant à Braine-l’Alleud) pour faire de la recommandation personnalisée. Nous restons volontairement flous sur ce que l’on entend par « meilleure vidéo. »
• La première équipe reçoit des données « objet » : nombre de vue, nombre de likes, nombre d’abonné·e·s à la chaîne, nombre de mois depuis la mise en ligne de la vidéo,… La deuxième équipe reçoit des données « profils » : statistiques de genre, d’âge et de localisation du public de chaque clip. Le troisième groupe reçoit des données « interactions » : dans un panel sélectif de personnes ayant un historique de visionnage fort similaire à celui de Juliette, on met en évidence plusieurs ressemblances ou différences sur quelques clips (clics ou non sur une vidéo, visionnage partiel ou complet) pour donner plus ou moins d’importance aux vidéos à classées en fonction de quelles personnes ont ou non interagi avec la vidéo.
• Plus tard, les équipes reçoivent des vidéo supplémentaires à intégrer à leur classement ainsi qu’un autre personna à qui recommander les vidéos pour les équipes « profils » et « interactions » avec pour consigne de ne pas modifier leur algorithme.
• Par la suite, les trois équipes sont invitées à soumettre leur classement, leur algorithme et la réflexion qui les a amenées à travailler de cette façon à la critique des autres participants et participantes. Enfin, dans la dernière phase du jeu, le groupe entier doit se mettre d’accord et construire un algorithme sur base des trois algorithmes créés dans les sous-groupes, en attribuant un coefficient pour chacun de ceux-ci en fonction de la pertinence qu’ils leur donnent.
Les classements issus de cet algorithme final sont comparés avec les préférences réelles des deux personnes ayant servi de persona et un débat peut commencer avec le groupe : d’où viennent les différences ou les ressemblances entre les classements ? Quel était l’objectif poursuivi par l’algorithme ? Pourquoi et comment quantifier un goût esthétique ? Quelle est la juste place de l’automatisation dans la recommandation culturelle et l’éditorialisation ? Quels sont les autres domaines dans lesquels sont utilisés les algorithmes ?
En fonction du temps imparti pour l’activité (minimum 1h30, maximum 2h15) et du profil des participant·e·s (adolescent·e·s, jeunes adultes, milieu scolaire ou hors scolaire,…) nous pouvons plus ou moins déployer la discussion et élargir la réflexion vers d’autres algorithmes de classement : moteurs de recherche, fils d’actualité, réseaux sociaux, magasins en ligne…
Synthèse et apport du retour d’usage :
Les premiers retours d’expérimentation sont très positifs et nous ont permis dans un premier temps d’avoir accès aux représentations des jeunes sur l’algorithmie et son impact sur l’utilisation des plateformes numériques. Nous avons pu également revoir certains aspects pratiques du jeu : optimisation du timing de certaines parties en fonction du nombre de données à travailler, simplification de la création de l’algorithme final et structuration du débat. Nous travaillons encore sur le jeu pour fluidifier l’activité et la rendre accessibles à d’autres publics, plus jeunes, ainsi que pour rendre le jeu transmissible aux enseignant·e·s et éducateur·rice·s.
Pour l’atelier que nous voulons tenir à Ludovia, nous n’avons pas le temps nécessaire pour faire le jeu complet. Nous comptons donc proposer une version légèrement simplifiée qui s’arrête après la première partie du jeu pour embrayer directement sur la discussion autour des questions que l’activité soulève. Nous espérons pouvoir échanger avec les participant·e·s sur les possibilités d’amélioration du jeu. Notre volonté est de pouvoir transmettre le jeu et la démarche pédagogique aux participant·e·s intéressé·e·s de se l’approprier dans le cadre de leur action éducative.
Plus d’infos sur : Maxime Verbesselt & Valentine François
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