Je suis canadienne. Je suis une retraitée qui écrit quelques articles à l’occasion sur l’éducation dont je suis de loin les transformations, les bouleversements. Je termine avec souffrance et lenteur, la production d’un livre numérique pour informer les enseignants du primaire et du début du collège sur l’informatique et le numérique. C’est dans ce contexte que je suis touchée par les chaudes discussions des éducateurs français, divisés à ce qu’il semble entre l’informatique et le numérique.
Informatique et numérique, les deux faces d’une même pièce
Le numérique ne serait pas sans l’informatique – «Si tu n’existais pas, dis-moi pourquoi (comment) j’existerais» pourrait chanter le numérique en imitant Joe Dassin. Les deux sont complémentaires. Dans le cadre de ma réflexion sur le numérique et l’informatique en éducation, voici le modèle synthèse que j’ai conçu. Numérique et informatique, chacun trouve sa place.
Un CAPES informatique
J’étais au fait des intentions de l’Éducation nationale sans y porter grande attention. C’est l’article de Thierry Klein paru sur Ludomag le 6 février, « Que signifie la création d’un CAPES en informatique » et la discussion sur Twitter qui m’a éveillé à la portée de la création de ce «nouveau champ de spécialité» offerte aux enseignants du Collège et du Lycée.
Je viens d’ailleurs. Mal m’en prendrait de critiquer l’Éducation nationale. Ceci n’est qu’un point de vue, une pincée de sel dans cette grande soupe où se mêlent informatique et numérique.
Comme le montre le modèle ci-dessus, je distingue INFORMATIQUE et NUMÉRIQUE.
Depuis longtemps je prêche l’enseignement du B-A, BA de l’informatique aux élèves dès la maternelle : la programmation élémentaire, les jeux avec Scratch JR et la robotique pédagogique adaptée aux enfants. Mon approche est à l’inverse de ce que propose un CAPES. Ce sont les enseignant-es des maternelles, du primaire et du début du collège qu’il faut éveiller aux subtilités de la programmation, non pas pour leur apprendre un langage particulier mais pour leur permettre comprendre et de guider leurs élèves : qu’est-ce qu’une séquence, une boucle, constantes et variables, et autres concepts fondamentaux de la programmation. C’est donc à eux que doivent s’adresser une formation élémentaire en Computer science.
Ici, au Canada, KidsCodeJeunesse, un organisme à but non lucratif donne gratuitement des formations dans les classes du primaire et du secondaire. Ce que je partage avec vous n’est pas le résultat d’une étude «scientifique» par des universitaires, ce ne sont que des observations de groupes scolaires à travers le Canada lors de l’initiation à la programmation. Je crois que Computer at School (CAS) au Royaume Uni a observé le même phénomène.
Il semble que c’est avant 12 ans que les élèves sont plus réceptifs à l’apprentissage de la programmation.
C’est à ces âges où ils aiment les jeux de construction et habiller les poupées. À l’adolescence, plusieurs ont perdu leur intérêt pour ce type d’activité, les filles en particulier semblent être très ennuyée par l’apprentissage de la programmation en début d’adolescence. Imposer l’étude de la programmation aux élèves du Collège et du Lycée semble être une erreur. De plus, il n’y a plus de programmeurs en informatique contemporaine. Ce sont des développeurs, un métier qui demande l’analyse d’une situation problème et l’utilisation de blocs de programmes à même des bibliothèques. Et c’est un métier qui pourrait être enseigné dès la quatrième aux élèves que le domaine intéresse.
Ma position est l’initiation à la programmation et à l’électronique (et oui, fabriquer de petits circuits et des petits robots, utiliser des capteurs avec des Micro-bits, des Raspberry Pi et des Arduino) dans les petites classes jusqu’en cinquième et rendre cet enseignement disponible comme matière optionnelle pour ceux que ça intéresse à partir de la quatrième. Donc, à partir de la quatrième, les enseignants spécialisés en informatique pourraient offrir des cours dédiés à des élèves intéressés et qui possèdent déjà de bonnes bases.
Que fait-on du numérique ?
«L’école a pour objectif de créer des citoyens capables de comprendre le monde et que la compréhension du monde, révolution numérique en cours oblige, passe par la connaissance profonde du fonctionnement des différentes réalisations numériques», écrit Thierry Klein et c’est là le travail du numérique : Apprendre au citoyen à comprendre le monde numérique dans lequel il vit.
Oui, on améliore la compréhension du monde en expliquant aux enfants comment les objets numériques sont faits et leur apprendre à les faire comme on leur explique les circuits électriques et le moteur à combustion, pourquoi pas!
Je suis cependant en complet désaccord avec l’affirmation suivante : on n’améliore pas la compréhension du monde en distribuant aux enfants des iPad. Au contraire, ces formidables appareils ont un immense potentiel en éducation. Ne chercher qu’à éveiller les élèves aux principes fondamentaux de l’informatique c’est leur apprendre le fonctionnement du moteur à combustion ou des moteurs électriques mais les forcer à marcher pour se déplacer.
La formation des élèves des petites classes en informatique et numérique ne doit pas être un domaine d’enseignement spécialisé. L’informatique est omniprésent dans la vie de tous les citoyens. Plus qu’apprendre comment ça marche, il importe de savoir utiliser les appareils et les réseaux convenablement, sagement et aussi comprendre ce que ça fait ( au Québec, on dirait : Qu’est-ce que ça mange en hiver).
Cette merveilleuse invention qu’est l’automobile est devenu un poison qui étouffe nos villes et tue plusieurs villages. Ce prodigieux matériau créé par la chimie, le plastique, s’introduit partout dans les chaînes alimentaires et détruit la biodiversité. Saurons-nous réfléchir à la portée de cette nouvelle invention du génie humain?
Éduquer les jeunes citoyens à l’ère numérique demande l’initiation à l’informatique et à l’électronique, éduquer les jeunes citoyens à l’ère numérique demande leur permettre d’utiliser avec créativité et liberté ces merveilleux outils qui nous sont donnés, éduquer les jeunes citoyens à l’ère du numérique demande aussi leur apprendre à être conscient des conséquences que ces technologies peuvent avoir pour l’humanité. Et surtout ne pas leur permettre d’oublier ces paroles prophétiques de Geronimo :
Quand le dernier arbre aura été abattu, Quand la dernière rivière aura été empoisonnée, Quand le dernier poisson aura été péché, Alors, on saura que l’argent ne se mange pas.