A partir du moment où l’on crée un CAPES, on crée quelque chose qui va structurer le futur. Ce qui est très important c’est qu’avec cette ouverture, nous consacrons le numérique dans un sens non superficiel.
Aujourd’hui, on parle trop du numérique en restant à la surface des choses alors même que nous avons besoin d’élèves qui développent leur sens logique grâce à la programmation, d’élèves qui relient les savoirs numériques aux autres savoirs grâce à leurs approfondissements numériques et l’approfondissement de leur culture générale dans d’autres domaines.
« J’aurais pu signer des 2 mains les déclarations du Ministre à propos de la création, annoncée, du CAPES informatique ».
Quels étaient donc les problèmes à résoudre ?
Enseigner la programmation, pas les usages de l’informatique
Depuis 15 ans, l’Education Nationale a fait fausse route. Les investissements visant à faire utiliser les technologies numériques par les élèves (ou par les professeurs), se sont multipliés. Mais les enseignements qui leur permettraient de comprendre, avant le baccalauréat, comment les technologies numériques fonctionnent, sont développées, mises au point sont presque absents. Je parle ici des cours de programmation, d’algorithmie et d’architecture des ordinateurs (de tout ce que les anglophones rassemblent sous le terme « Computer Science »).
L’informatique, au sens de la programmation, n’est apparue au Collège que depuis 2 ans. Et les professeurs d’informatique n’existaient pas, puisque le CAPES d’informatique n’existait pas. La programmation informatique, qui est à la fois une technologie et une science, est aujourd’hui principalement enseignée par les professeurs de mathématiques et de technologie, dont la formation ne recouvre, au mieux, qu’une moitié du domaine. Sans parler des réticences qu’ont beaucoup d’entre eux à enseigner en dehors de leur propre domaine (et dans la mesure où enseigner reste un métier de vocation, ces réticences me paraissent largement justifiées).
L’informatique est devenue une matière fondamentale
Or, dire qu’il y a révolution numérique, c’est dire que l’informatique, prise au sens duel de « Computer Science », est à mettre au cœur de l’enseignement. De fait, l’informatique est devenue une science fondamentale, peut-être la science de base la plus indispensable à l’étude des autres sciences. La chimie, la biologie, la physique et même les mathématiques font appel, dans une très large mesure, à l’informatique.
L’importance de l’informatique dans l’enseignement est destinée à s’étendre dans les 10 prochaines années. Non pas dans le but de créer une génération d’informaticiens (pas plus qu’il ne s’agissait, avec les mathématiques, de créer une génération de mathématiciens). Mais parce que l’école a pour objectif de créer des citoyens capables de comprendre le monde et que la compréhension du monde, révolution numérique en cours oblige, passe par la connaissance profonde du fonctionnement des différentes réalisations numériques.
Ce que l’Education Nationale a enfin compris, c’est donc qu’on n’améliore pas la compréhension du monde en distribuant aux enfants des iPad – pas plus qu’on ne crée des cuisiniers en leur faisant simplement goûter des plats ou qu’on ne crée des ingénieurs en leur achetant des voitures. On améliore la compréhension du monde en expliquant aux enfants comment les objets numériques sont faits et en leur apprenant à les faire.
Une mesure encore non financée, des moyens presque risibles
Il transparaît des déclarations du Ministre que les mesures actuelles sont non financées et les moyens mis en place paraissent ridicules, presque risibles.
Seuls 10 postes ont été ouverts et « ont vocation à s’étendre dans le futur » (ce qui signifie que rien n’est encore prévu). « Une agrégation en informatique devrait suivre » (toujours rien de prévu !). Les besoins actuels sont chiffrés, par le Ministre, à 1500 postes mais j’arrive pour ma part à environ 10 000 postes, si on considère que l’informatique, matière fondamentale complémentaire et alternative aux mathématiques, a vocation à rentrer profondément dans les programmes et à capter d’ici 10 ans une partie des heures de maths et de sciences.
Et après ?
1. Enseigner l’informatique à Sciences-Po, à l’ENA, à HEC…
Dans les universités américaines, l’informatique fait déjà partie du cursus des étudiants littéraires. A Stanford, 90% des étudiants, toutes spécialités confondues, suivent le cours « de base » en informatique, dont le niveau est supérieur à celui de presque toutes nos grandes écoles d’ingénieurs. En France, un tel cours d’informatique devrait rentrer au programme d’écoles comme Sciences-Po, l’ENA, l’Ecole Nationale de la Magistrature, HEC… Encore une fois, à quoi sert une école préparant aux métiers politiques, économiques ou à la magistrature si les élèves qui en sortent ne peuvent décoder le monde ?
2. En médecine et dans les écoles d’ingénieurs
L’informatique devrait évidemment être mieux enseignée en fac de médecine (le progrès médical des 50 prochaines années en sortira) mais aussi utilisée de façon intensive dans le concours d’entrée. Dans les grandes écoles d’ingénieurs, il est à souhaiter, pour deux raisons, que les filières d’entrée « Maths » et « Physique » soient complétées par une filière « Informatique ». La première raison: il faut une plus grande partie de nos élites scientifiques formée à l’informatique. Deuxième raison: nous sommes en France et une matière n’est réellement prise au sérieux que lorsqu’elle devient importante pour faire les grandes écoles. On voit pourquoi les besoins de professeurs agrégés sont beaucoup plus importants que ceux anticipés par le Ministère.
3. Créer un grand corps du numérique</strong>
Il est consternant aussi que le plus grand corps technique français, celui des Mines, fasse référence à une industrie qui n’existe plus. De même, les grandes écoles françaises, Ponts et Chaussées, Mines de Paris ( !), Ecole Centrale des Arts et Manufactures se coltinent des noms ridicules et numériquement désuets. Les mots ont un sens et ce décalage historique, qui traduit une absence de vision, a des conséquences immenses sur la compétitivité du pays.
Là encore, nous sommes en France et tout commence et finit par l’Etat. Un grand corps du numérique, comprenant 20 à 50 ingénieurs par an, devrait être créé. L’entrée y serait conditionnée non seulement à la sortie de l’X, comme c’est le cas pour les grands corps d’ingénieurs, mais aussi à l’obtention d’une spécialisation avancée en informatique ou en génie électrique. Ce corps, qui devrait aussi être ouvert à quelques magistrats, médecins, diplômés d’écoles de commerce… aurait pour mission de mener à bien la stratégie de l’Etat et de l’Industrie. Sans une élite de fonctionnaires parfaitement formée, la France ne peut pas développer des technologies numériques d’intérêt général ni lutter à armes égales contre les GAFA, par exemple.
Source : Cet article a été initialement publié dans le blog de Speechi.