La revue Interfaces Numériques souhaite mobiliser les chercheurs sur les questions que pose l’apparition récurrente des termes « partage, échange, contribution et participation » dans les activités numériques et au-delà.
Partage, échange, contribution et participation font partie de ces mots entendus sempiternellement dans le contexte du numérique, que ce soit dans l’entreprise, en pédagogie, dans les communautés d’intérêt, à l’école. L’emploi de ces termes est fortement encouragé par les services en ligne qui leur attribuent des fonctionnalités particulières et en modifient parfois le sens. Ainsi, le « partage », qui consiste à l’origine à scinder un contenu pour le répartir entre plusieurs personnes, ne correspond pas au copier/coller implicite d’un élément « partagé » sur les réseaux sociaux. Pour autant, il constitue l’une de ces fonctionnalités autour desquelles se structurent les pratiques de l’Internet.
Reliés à des valeurs humanistes, le partage, l’échange, la contribution et la participation œuvreraient dans la filiation de nobles préoccupations qui enlacèrent « le globe de réseaux de chemin de fer, d’or, d’argent, d’électricité » (Pinet, cité par Musso, 1997 : 6)[1] dans l’espoir de rapprocher les peuples. Le Web serait ainsi l’héritier d’une utopie de la communication, ce « cas particulier des transports » (Escarpit, 1986 : 9)[2] qui motivait les créateurs du Canal de Suez et de nombre d’autres voies d’échanges. Le développement des moyens électroniques « est peut-être le trait caractéristique de l’époque contemporaine » (Mattelard, 1994 : 93)[3]. Ce « miraculeux transport » devrait « effacer les distances » et permettre les échanges (Weckerlé, 1982 : 2)[4] en développant une « utopie (romantique) du partage » (Halais, 2015)[5].
La perception de la technologie semble être celle d’une « promesse d’un monde meilleur » (Klein, 2011)[6], parfois perçue comme un « bluff » (Ellul, 1988) bâti sur un ensemble de possibles et de propositions toujours futures d’innovation. Elle offrirait la potentialité de participer aux métamorphoses du monde. Cette participation pourrait d’ailleurs être considérée comme une contribution ou une injonction par ceux et celles qui, sans nécessairement refuser la technologie, n’y ont accès que de manière limitée ou ne lui trouvent pas d’intérêt. Si la France est « entrée dans la société de l’Information » (Baquiast, 1998)[7], elle n’a pas pour autant gommé les inégalités sociales dans l’usage des ressources (Le Guel, 2004 : 57)[8].
Au-delà du partage, l’économie de la contribution (Stiegler, 2010)[9] propose une alternative à l’économie marchande. Avec les logiciels libres et les approches collaboratives, le monde numérique pourrait générer de nouveaux types de projets fondés sur le crowdsourcing ou le crowdfunding (financement participatif). Les potentialités nouvelles des pratiques pair à pair conduiraient vers un nouveau type de société (Bauwens et Lievens, 2015)[10].
Cela dit, le partage, l’échange et la participation pourraient être considérées comme de nouvelles formes de contributions quasi obligatoires considérées comme des modalités de soumissions volontaires librement consenties (Joule et Beauvois, 2010)[11]. Le caractère chaleureux de la terminologie du partage masquerait des injonctions à l’activité comme la veille sur les réseaux, l’urgence communicationnelle, la rediffusion de contenus existants faute de temps ou d’imagination, la production personnelle et irréfléchie de micromédias sans autres savoir-faire qu’une habitude de publication destinée à assurer la présence de son identité en ligne (Georges, 2010)[12] voire de son institutionnalisation personnelle (Gobert, 2010)[13].
À chacun, les technologies numériques peuvent donner à croire qu’il est informé et participe du collectif par des actes de partage, d’échange. Contribuer, c’est participer, c’est-à-dire mettre en place les actions nécessaires pour une intégration sociale voire une reconnaissance. C’est pourquoi s’interroger sur des notions comme le partage, l’échange, la contribution et la participation n’est pas neutre. Quelles sont les motivations et les processus à l’œuvre ?
Il apparaît donc important de faire le point sur les angles morts dissimulés par le partage, l’échange, les contributions et la participation. Ils ne concernent pas seulement les activités en ligne mais débordent dans le social où ces comportements, très consensuels, sont attendus dans les sphères privées, éducatives et institutionnelles.
Nous souhaitons que les articles puissent décliner leurs réflexions en les confrontant aux multiples applications du monde numérique et notamment aux thèmes suivants, sans que cette liste soit exhaustive :
- Internet et les réseaux sociaux sont des vecteurs mobilisant les notions de partage, d’échange, de contribution et de participation. Ce serait leur raison d’être. Pour autant, les pratiques et les usages questionnent ces valeurs mises en avant par le marketing. Les utilisations sont diverses et s’en éloignent parfois. Il serait utile d’interroger ce que le cadre donné par les approches échangistes et contributives peut permettre comme utilisations mais également comme adaptations, réorientations et dévoiements.
- Le monde éducatif valorise l’utilisation d’outils communicants dès l’école maternelle en croisant les objectifs : rapprocher les familles, les apprenants et l’institution, augmenter la participation des élèves, etc. Le partage, l’échange, les contributions et la participation favoriseraient les pédagogies actives du fait de la nécessité d’un support accessible à tous. Quelles perspectives et quels enjeux proposent ces actes valorisants ?
- Les jeux vidéo se pratiquent beaucoup en réseau. Jouer, c’est bien souvent contribuer à la construction de l’univers du jeu, ne serait-ce qu’en le peuplant avec le personnage animé du joueur. Simultanément, le jeu favorise des comportements de partage et de socialité qui peuvent déborder du cadre de l’écran. Le contrat ludique pourrait-il être basé sur le partage, l’échange, les contributions et la participation ?
- Le monde de la création voit la place de l’auteur remise en question au profit de collectifs. Si la diffusion tend à remettre en question les intermédiaires, la production trouve aussi de nouveaux outils de partage avec les fablabs et une nouvelle orientation créative avec la culture maker qui valorise la collaboration.
- La consommation culturelle et artistique suscite l’expérience esthétique et l’attention d’autrui. Pour que l’artiste tisse un lien avec le récepteur de l’œuvre, partager, échanger, contribuer et participer sont mobilisés. Dans les musées et extra-muros des dispositifs multimédiatiques favorisent la participation de tout un chacun. Ces propositions de partage, d’échanges, de contributions augmentent-elles le rôle des regardeurs des tableaux ?
Ces pistes ne sont pas limitatives et toutes les ouvertures permettant d’éclairer notre problématique dans l’esprit pluridisciplinaire qui est le nôtre seront les bienvenues.
Organisation scientifique
La réponse à cet appel se fait sous forme d’une proposition livrée en fichier attaché (nom du fichier du nom de l’auteur) aux formats rtf, doc ou odt. Elle se compose de deux parties :
- Un résumé de la proposition de 4 000 signes maximum, espaces non compris ;
- Une courte biographie du (des) auteur(s), incluant titres scientifiques, le terrain de recherche, le positionnement scientifique (la discipline dans laquelle le chercheur se situe), la section de rattachement.
Le fichier est à retourner, par courrier électronique, pour le 4 février 2019, à th.gobert@gmail.com. Un accusé de réception par mail sera renvoyé.
Calendrier prévisionnel
- 10 novembre 2018 : lancement de l’appel à articles ;
- 4 février 2019 : date limite de réception des propositions ;
- À partir du 28 février 2019 : avis aux auteurs des propositions ;
- 30 avril 2019 : date limite de remise des articles ;
- 30 avril au 15 juin 2019 : expertise en double aveugle, navette avec les auteurs ;
- 15 juillet 2019 : remise des articles définitifs ;
- 30 octobre 2019 : sortie du numéro en versions numérique et papier.
Modalités de sélection
Un premier comité de rédaction se réunira pour la sélection des résumés et donnera sa réponse le 28 février 2019.
L’article complet, écrit en français ou en anglais, devra être mis en page selon la feuille de style qui accompagnera la réponse du comité (maximum 25 000 signes, espaces compris). Il devra être envoyé par courrier électronique avant le 30 avril 2019 en deux versions : l’une entièrement anonyme et l’autre nominative.
Un second comité international de rédaction organisera une lecture en double aveugle des articles et enverra ses recommandations aux auteurs au plus tard le 15 juin 2019.
Le texte définitif devra être renvoyé avant le lundi 15 juillet 2019.
Les articles qui ne respecteront pas les échéances et les recommandations ne pourront malheureusement pas être pris en compte.
[1] Musso P. (1997), Télécommunications et philosophie des réseaux, Paris : PUF.[2] Escarpit R. (1976), Théorie générale de l’information et de la communication, Paris : Hachette.[3] Mattelard A. (1994), L’invention de la communication, Paris : La Découverte, coll. Textes à l’appui.[4] Weckerlé C. (1982), Les primitifs de l’électronique, Esprit, n° 1667, octobre 1982.[5] Halais F. (2015), Economie du partage, utopie romantique des startup américaines, epub, Alo.[6] Klein E. (2011), Le small bang des nanotechnologies, Paris : Odile Jacob, évoqué dans « Ripostes », France Culture, 19 mars 2011.[7] Baquiast J.-P. (1998), Administration 1998-2001, Propositions sur les apports d’Internet à la modernisation du fonctionnement de l’Etat, Rapport d’Orientation, La Documentation Française.[8] Le Guel F. (2004). Comment pourrait-on mesurer la double fracture numérique ? Réseaux, vol. 5-6, n° 127-128, p. 55-82.[9] Stiegler, B. (2010), Atelier économie de la contribution, ars industrialis, [En ligne], 6 novembre 2010 :[10] Bauwens, M., & Lievens, J. (2015). Sauver le monde : vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer. Éditions Les Liens qui libèrent.[11] Joule, R.-V., Beauvois, J.-L. (2010). La soumission librement consentie. Paris : PUF[12] Georges F. (2010), Pratiques informationnelles et identités numériques, Études de communication [En ligne], 35 | 2010.[13] Gobert T. (2010), Présence instituée, présence distribuée, présence instituante : le rôle central joué par l’individu en FOAD, International Journal of Information Sciences for Decision Making, [En ligne], n°39, art 666, pp. 348-358.
Contact : th.gobert@gmail.com
Interfaces Numériques est une revue scientifique reconnue revue qualifiante en sciences de l’information et de la communication sous la direction de Benoît Drouillat et Nicole Pignier.
Présentation de la revue classée par l’HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) : https://www.unilim.fr/interfaces-numeriques/