Pour la quatorzième édition du Colloque scientifique Ludovia#15, 40 communications vous seront présentées sur le thème « Innovations & Institutions autour du numérique éducatif ». Ludomag se propose de vous donner un avant-goût du colloque jusqu’au début de l’événement, lundi 20 août.
Camille Roelens présentera « Les connexions démocratiques : influences consenties et légitimité » le mardi 21 août.
L’objet de cette communication est d’aborder l’influence du numérique sur les institutions, et sur l’institution scolaire en particulier, en partant du mode de liens entre les êtres (ici appelés connexions démocratiques) que « l’appropriation sociale de la technologie » (Gauchet, in. Aubert, 2017, p. 413) numérique parait mettre en lumière. Cette question semble première, conditionnant ensuite l’efficience même d’une institution dans ses volontés d’actions. Cela ne signifie pas que la nature de ces actions soit indifférentes, mais que leur déploiement est conditionné et que cela doit être pensé.
Comment garantir une capacité d’innovation durable des individus ? Une condition semble être que l’éducation puisse « fournir aux nouvelles générations les outils qui leurs permettront de s’approprier intelligemment les technologies du numérique » (Blais, Gauchet et Ottavi, 2016, p. 247). Mais cela n’est possible selon les mêmes auteurs qu’en repensant les modalités de la transmission (pp.251-252). Cela implique une relation éducative, un lien entre deux individus dans une relation asymétrique (Foray, 2016, p.94), la possibilité d’un rapport d’autorité (Blais et al., 2013, p.45).
Selon M. Gauchet (2017), la société des individus de droit est celle où tout lien entre les individus ne peut être basé que sur leur consentement, où les libertés de chacun sont garanties par la possibilité de se connecter et de se déconnecter à volonté d’avec autrui. Cela ne signifie pas que les individus refusent les influences des autres, qui sont au contraire des conditions de leur individuation psychique comme de leur individualisation sociale (p.610). « Dans le réseau, l’individu de droit trouve la traduction technique du rapport social tel que son statut le lui donne à concevoir » (p.688). Le connectif ne remplace pas le collectif, mais il le transforme (p.477). Des liens subis demeurent effectivement et sont une condition de l’existence de ces connexions démocratiques, mais ils doivent être perçus comme soutenants, autorisants, et non entravants pour ne pas susciter l’opposition des individus et leur perception comme illégitime.
L’autorité éducative peut être une « influence libératrice » (Prairat, 2010, p. 41). Son existence est soumise à sa reconnaissance par celui à qui elle s’adresse (p.42), elle implique une obéissance sans contrainte. Cette souplesse semble pouvoir en faire, en la repensant à l’aune de l’individualisme démocratique, un moyen précieux de régulation. L’autorité contemporaine doit ainsi pouvoir s’inscrire dans un système de légitimité dont l’une des caractéristiques est cette prééminence du lien et des influences choisies, qu’illustre de façon paradigmatique le connectif et qui influe sur la conception du collectif.
La vie familiale et la vie scolaire constituent deux expériences de sociabilité initialement contrainte. Nul ne choisit la famille où il nait, les possibilités de choix d’école sont restreintes et l’instruction obligatoire. Ecole et famille ont connu une très profonde désinstitutionalisation récente (Gauchet, 2017). On pourrait penser, de façon radicale, que cela peut aller jusqu’à remettre en cause l’éducation familiale, et interroge la forme scolaire. Il semble aussi possible d’envisager de repenser les relations, en particulier éducatives, ne pouvant faire autorité que si elles contribuent à rendre auteur les individus.
Faire des droits individuels fondamentaux la base de toute légitimité délégitimerait tout ce qui jadis avait de la légitimité par lui-même, tel l’Etat, la famille, l’école. Cela ne signifie aucunement qu’il n’existe pas ensuite des légitimités dérivées, qui puissent être pensées et étudiées (pp.543-547). En d’autres termes, pour rester des institutions et assumer leur responsabilité croissante de fournir aux individus le socle et les capacités d’être auteur d’eux-mêmes et de leurs innovations, de devenir autonome (Foray, 2016), école et famille doivent repenser leurs moyens de faire autorité.
L’hypothèse qui sera ici éprouvée est que c’est au prix d’une acception large de la notion d’autorité, pensée avant tout comme ce qui contribue à rendre un individu auteur et acteur de sa vie et de ses innovations et initiatives, que les individus peuvent consentir aux influences de l’institution, et ainsi permettre sa pérennité. La structuration autonome du monde impose à chacun de devenir un individu autonome, et d’assumer le fonctionnement autonome de l’établissement humain-social (Gauchet, 2017). Ce qui permet de progresser sur cette voie peut espérer être reconnu légitime, et constituer un réseau d’influence entre individus connectés, augmentant les possibilités d’innovation de chacun.
Travaux cités :
– Aubert, N. (dir.) (2017). L’individu hypermoderne. Toulouse : Erès.
– Blais, M., Gauchet, M., & Ottavi, D. (2013). Pour une philosophie politique de l’éducation. Paris : Arthème Fayard/Pluriel.
– Blais, M., Gauchet, M., & Ottavi, D. (2016). Transmettre, apprendre. Paris : Arthème Fayard / Pluriel.
– Foray, P. (2016). Devenir autonome, apprendre à se diriger soi-même. Paris : ESF.
– Gauchet, M. (2017). Le nouveau monde. L’avènement de la démocratie , IV. Paris : Gallimard.
– Prairat, E. (dir.) (2010). L’autorité éducative : déclin, érosion ou métamorphose. Nancy : Presses Universitaires de Nancy..
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