Nicolas Le Luherne, auteur pour Ludomag, vous propose dans ce nouvel article, un point de vue sur la notion d’infobésité de l’information et sur la désinformation ; nos comportements, nos réactions, nos attentes…
Il est 15h25
On est en février. Les rues sont de nouveau calmes, une légère brise place des Épars. Oubliée la frénésie du présent, des gestes nerveux quand les désirs viennent à manquer. Tout juste voit-on au coin de la rue traîner encore quelques cartons et les page oubliées d’un canard dont l’oeil triangulé interpelle.
Il est 15h34 …
Tourne sur ma platine le premier jour des Liminanas. Nous ne sommes plus vraiment en nouvelle année et pourtant je n’y suis pas tout à fait entré. La commune décroche enfin les lumières de noël. Personne ne semble vraiment pressé de quitter 2017. Chacun reprend son souffle, regarde en arrière parce qu’il n’a pas forcément trouvé devant. Le ciel est gris. J’accouche de ce texte dans la douleur.
Il est 15h39 …
J’ai peur de participer à l’info-obésité. Vous savez ce moment où, à force de parler d’un mouvement, on en oublie de le voir. C’est la frousse du trop, de trop écrire, de l’article de trop ou du pas assez.
On a tous parlé fausses-informations, peut-être être grisés par la vitesse à force de partager, de vouloir sauter sur l’actualité et finalement de s’y perdre trop souvent.
Il est 15h42…
A l’écoute, du premier jour des Liminanas, j’ai l’impression de comprendre le sens du livre de Duras Moderato Cantabile. Oui, je sais rien à voir et pourtant. Je me souviens de ma première lecture. Ce sentiment d’accumuler les pages, de citer dans le texte mais d’être passé à côté de quelque chose. Doucement mais pas trop vite ! Le son est cadencé, lent et la voix est déclamée à la Gainsbourg. Il y a l’empreinte des sixties, des MC5. Ils font du garage rock. C’est un détail pour nous. Le psychédélisme c’est la mélopée, le rythme revient sans-cesse par touche et parfois par ajout. Un peu comme dans le livre de Marguerite D où les chapitres se répètent inlassablement sans avoir l’impression de changement alors que rien n’est jamais comme avant.
J’ai le sentiment de comprendre un peu plus.
Il est 15h57…
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Il est 16h29…
Ma platine crisse sur le son de Curtis Harding “On And On”. Un fond northern soul sur un lit de bongos. Le dernier accélère l’autre au point de se confondre sous les coups de marteau. Ce miracle musical ne peut se reproduire pour notre quête d’informations. Avec l’instantanéité, les sons se confondent et dans nos idéaux accélèrent la mise en capacité de chacun de savoir. Les bruits se confondent et seul l’initié entend les bruits faibles des bongos derrières la caisse claire.
Depuis quelques mois les articles s’accumulent, derrière le rythme des fausses informations. Un goût d’anaphore et de confuses paroles. Les sons rationnels se confondent et les nouvelles nous regardent avec des regards familiers. Un peu hypnotisé, on oublie le temps, celui de s’informer, de chercher.
Il est 16h46…
Il est toujours aussi difficile d’accepter de ne pas savoir. A la manière d’un livre de M. Duras, rien ne change et pourtant…
Il est 16h05…
Tout le monde ne peut être artiste ou expert. Je crois avoir perdu le fil du temps.
On veut réagir toujours plus vite et parfois sans vérifier l’information. Le plus important n’est pas d’essayer la fiabilité mais souvent d’être le premier. Drôles de courses qui aboutissent aux Fake-News. C’est une icône malheureuse. C’est même devenue une massue, un point godwin de la pensée. Une tarte à la crème que l’on se jette à toutes les sauces.
Il est 13h30…
J’écoute bitter sweet harmony et le sentiment d’entendre quelqu’un d’autre. Aux jeux des idées, on confond parfois les intentions. Sur ma Timeline s’accumule les anathèmes. Au-delà d’enlever de la qualité aux échanges, ils galvaudent. Croire et savoir, comment faire la différence ? Le Gimmick est devenu mantra. Tout s’équivaut, tout se vaut et la crédulité demeure.
Le premier jour, c’est l’impression de rentrer dans un nouveau monde, de l’observer et d’y trouver les indices de sa place. “Au milieu de tout ça, je me suis senti chez moi”. La force de la variété est parfois celle de la divergence.
Il est 16h04…
Retour des Liminanas — Shadows People. Un piano pour enfant danse sur une batterie, des sonorités des jouets, le goût de notre enfance. Un adolescent rêve dans les traces du passé.
Il est 7h55…
La première sonnerie annonce l’entrée en classe. Un vieux professeur entre. Il déclare “le plus important n’est pas de dire la vérité mais d’avoir raison”.
Il est 8h07…
Le monde n’est pas si éthique. C’est vrai. L’adulte, qui sommeille dans le plus vraiment enfant, n’a plus vraiment confiance dans le monde. Il a entendu parlé de ces informations fausses. Son moteur de recherche ne ment pas. La preuve, il vient de lui notifier qu’il a oublié son cours d’anglais. Tant pis, il boit sa menthe à l’eau.
Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, la sincérité n’est pas toujours là où l’on croit. Il est 18h05, une âme de moins dans notre rationalité. La soif de savoir tout de suite, maintenant voir avant hier, réduit les circuits de vérification. Est-ce une question législative ou de méthode.
Etrange monde qui fait apprendre à construire l’argumentation mais pas à la déconstruire.
Il est 18h02…
Le socle de la confiance prend du temps.
Il est 18h03…
“Do not be afraid of danger. You are the danger!”
nous dirait Walt de Breaking Bad. Le danger c’est nous. Notre capacité à nous isoler, à penser que nous avons raison. Mon encyclopédie collaborative est ma force. Si je me trompe, c’est de sa faute.
Il est urgent de ralentir, de profiter de la sève du numérique en la séparant de son écorce en forme de mille-feuilles. Le discernement et la méthode sont une partie de l’antidote. Tout ne se vaut pas. Il ne s’agit pas de vitesse mais de mesure, de confiance et d’empathie. Voir en l’autre non pas un concurrent mais un pair, un expert et une source de connaissances. Il n’a jamais été autant nécessaire d’avoir confiance en l’autre pour construire l’intelligence collective.
Photo à la une : La lenteur, Frédérique Voisin-Demery, 5 juin 2010